Une porte c’est ouverte. Et soudain, la lumière fut.
Cela fait des semaines que je tergiverse, que je me demande comment passer ces quelques semaines de vacances à la montagne. Beaucoup de possibilités ont été analysées...
Au final je me suis effectivement rabattu sur la haute route des Alpes, car l’itinéraire me semblait ambitieux à souhait, technique, isolé, exactement ce que je recherchais. Toutefois, quelques passages me laissaient dubitatif tant l’isolement était prononcé, et le risque inhérent certains cols de haute altitude.
Mais plus que tout, c’est surtout l’intention qui me manquait. Pourquoi, en effet, repartir sur un itinéraire similaire à celui déjà parcouru l’an passé ? Quel intérêt de traverser de nouveau les Alpes du nord au sud, du Lac Léman à la Méditerranée, alors que cet exploit longtemps rêvé a déjà été réalisé l’an passé ?
Je continuais \240toutefois à travailler ma cartographie, créant au final MA traversée des Alpes. Mélange de différentes routes, nourri par la curiosité d’explorer de nouveaux horizons, ou au contraire de parcourir des chemins qui faisaient bien partie de la GTA, mais que j’avais dû esquiver à cause du mauvais temps. Au final, j’étais assez content de mon itinéraire.
Mais a quelques jours du départ, il me manquait toujours la raison, pourquoi au final j’étais irrésistiblement attiré pour marcher de nouveau en plein cœur des Alpes françaises.
J’étais en train de travailler, tout absorbé à envoyer mon cent millième e-mail de l’année, pressé de conclure les dernières urgences avant mon départ, quand je reçu un message de mon fidèle ami Dejan m’invitant à faire une petite pause, en cliquant sur un lien.
Je pensais que ce lien m’emmènerait vers une vidéo rigolote, ou quelque chose qui m’aurait fait sourire. En ouvrant la vidéo, je suis au contraire littéralement cueilli par le cadeau que mon ami me faisait. Ce cadeau était une vidéo reprenant des extraits de séquences issues de treks que nous avions faits ensemble. Je ne savais même pas que ces images existaient... Il avait donc pris le temps d’en monter des bribes, avec la voix en filigrane d’un philosophe qui parlait de la marche, de ses vertus spirituelles, de ses bienfaits.
Alors, j’ai soudain pris conscience qu’en réalité, mon ami m’offrait le miroir de ce que je partais chercher. L’intention était bien différente de celle de l’an passé. Autant parcourir la GTA était un rêve qui m’avait nourri pendant des années, l’année dernière le défi était plutôt physique, logistique, psychologique,. En visionnant le cadeau de Dejan, je réalisais soudain que cette année, la démarche serait bien plus profonde. Que cette aventure était certainement basée sur un trek parcourant un itinéraire dans les montagnes, mais surtout que celui-ci serait le support d’une réflexion profonde, d’un cheminement intérieur. Et là, d’un coup, la porte s’ouvrît en effet. Je comprenais enfin que cette aventure, qui pourrait paraître similaire à celle de l’an passé, n’avait en réalité qu’un rapport superficiel. Autant j’ai mis toutes les chances de mon côté pour anticiper les différents obstacles ou défis qui se poseraient inévitablement à moi, autant le cheminement intérieur est une aventure imprévisible.. Autant la destination du premier est évidente (la mer), autant la destination du second reste un mystère. Mais après tout, comme le philosophe le dit, le voyage est bien plus important que la destination.
Je viens de quitter le bureau, régler mes dernières affaires, et vais bientôt faire mon sac à dos, vérifier les derniers détails,
Je commence doucement à glisser, à me concentrer, à imaginer le premier pas que je ferai demain, au débarcadère de Nyon, à 6h35.
Miam miam…
Yapuka
Montée à la Dent d’Oche
Refuge de la Dent d’Oche
La Dent d’Oche
Parti ce matin de la maison à 6h. Je suis tranquille, pas du tout dans le même état d’esprit que l’année dernier. Je suis concentré, mais détendu.
Dernières embrassades avec les enfants et mon amour de 25 ans et… c’est parti.
Nyon, embarcadère. Nous sommes deux sur le bateau et… ça bouge sec à cause de la bise. J’aime cette traversée du lac, sorte de transition entre deux mondes. L’entrée au séminaire.
David m’attend sur l’autre rive pour m’emmener à Meillerie.
Meillerie, débarcadère. Comme une sorte de tradition, ou rite, je trempe mes mains dans le lac. Regard perdu sur le Jura. L’eau qui coule entre les doigts me rappelle le chemin à parcourir pour en faire de meme dans la mer.
Salut David ! Et merci…
La montée attaque sec : je suis vite dans l’ambiance ! Le temps est magnifique. Je suis seul. Je suis bien. Les sensations réapparaissent, garder le rythme, faire attention où on pose les pieds…
L’ombre de la forêt et le chemin en face Nord me permettent de ne pas trop souffrir de la chaleur : cela ne va pas durer…
Col de Neuva, col de Rebollion. Je ne peux résister à l’ascension de la Dent d’Oche qui me fait de l’œil. La montée est difficile, le sac, même léger, se fait sentir ainsi que les presque deja 2000m de D+ réalisés. Refuge de la Dent d’Oche et son litre et demi d’eau à 4€ : je ne m’attarde pas.
Sommet de la Dent d’Oche où je m’installe pour pique-niquer face au Mont-Blanc. C’est magique. Petite sieste et c’est la descente. . Celle ci est connue pour être vertigineuse et dangereuse quand il y a du monde qui risque de faire partir des pierres. La chance le sourit car je suis littéralement seul et peux prendre toutes les précautions pour ne pas glisser.
La chaleur finit par être écrasante et il n’y a d’eau nul part. Je consens à remplir mes gourdes à un abreuvoir pour vache, mais c’est loin d’être top. Surtout avec les petits vers qui se baladent au fond.
Le chemin continue et lèche la base du Château d’Oche. Le paysage est époustouflant et même si je le connais, impossible de s’en lasser. Arrivée au Col de Bise, je décide de filer vers La Chapelle d’Abondance. En effet, le chemin prévu me fait partir sur des crêtes sans aucun espoir de trouver de l’eau, et un emplacement de bivouac. Il est tard, j’ai déjà bien marché er je suis fatigué. Les muscles, articulations et chevilles se rappellent à moi. Je joue donc la sécurité et pars sur les Chalets de Bise, puis Pas de la Bosse (allez, encore un peu de dénivelé) et chalets de Chevenne.
Je croise un randonneur qui entame la GTA avec pour seule expérience un ou deux treks le week-end. Bon courage, camarade.
La fatigue est désormais mais je vise un petit emplacement de bivouac que je connais, près de La Chapelle. J’y arrive à 19h et m’installe confortablement. Pas fâché d’être arrivé après cette étape mémorable. La chaleur est mon pire ennemi du moment et a rendu cette étape vraiment ardue.
Après le montage de l’abris sur une herbe tendre, une bonne toilette au torrent, un bon repas à base de lyophilisés,, je me glisse dans la couette. Rose-May m’apprend que la chaleur, loin de diminuer, va empirer cette semaine. Cela m’inquiète un peu… nous verrons bien. Lâcher prise et s’adapter devront être les mots-clés.
Départ ce matin à 6h30 après avoir plié tout le camp. J’ai toujours de l’appréhension à cause de la chaleur… à La Chapelle, je me fais un petit déjeuner à base de jus d’oranges pressées et de viennoiseries. Miam.
J’ai plaisir à arpenter les rues endormies de ce sympathique village. La nostalgie que j’avais ressentie l’an passé en passant devant l’hôtel où nous avions passé de si bons moments avec les enfants, à disparu. Au contraire, je m’estime chanceux d’avoir pu vivre de tels moments avec notre jolie famille et c’est le cœur léger que j’entame la montée au refuge de Trébentaz.
Petite pause au refuge où j’avale d’un trait près d’un litre de sirop de grenadine, ma drogue du moment.
- « la saison se passe bien ? »
- « si vous voulez savoir si nous avons beaucoup de réservations, en fait ce n’est pas notre idée du bonheur. On accueille les randonneurs qui se présentent, mais ne cherchons pas à faire de la publicité pour gagner plus… on est en bonne santé, vivons dans un endroit magnifique, et on a assez pour vivre : que demander de plus ? »
En effet. Sages paroles de la gardienne du refuge : Top là, Camarade !
Je continue la montée vers les Mattes en visant le col de Bassachaux.
Discussion avec un vacher sur l’impact de la chaleur sur les bêtes, le manque d’eau.
Illustration de la théorie de la relativité. Quand tu montes, avec un sac à dos, en pleine chaleur, tu as peine à mettre un pied devant l’autre. Et quand une vipère croise ton chemin, tu découvre que tu peux encore courir…
Au refuge de Bassachaux, un vent rafraîchissant glasse le sang des autres convives mais me ravit. Plutôt que de filer direct sur Chésery, je décide de profiter du moment en me payant un bon gueuleton ! Cela sera entrecôte, gratin dauphinois, légumes frais de saison.
Après ces agapes, honteux de mon entorse au véganisme, mais le ventre repu, je continue vers Chésery. Une opportunité de prendre une douche et de faire une petite lessive : le bonheur !
Il est tôt et j’avais prévu de me reposer un peu avant de partir marcher de nuit. Mais au final, la zone de bivouac est tellement paradisiaque que cela serait un crime de ne pas passer la nuit ici. Je décide donc de rester et de partir tôt demain matin. Et puis c’est tout.
Repas au refuge de rigueur (avec une bonne croûte au fromage) et échange avec d’autres randonneurs itinérants fort sympathiques. Départ aux aurores demain, toujours pour gérer au mieux ces températures hors normes.
Lever à 4h et parti ce matin pour deux gros client dans la journée, le col de Coux et le col de Bostan.
Arrivé à La Croix de l’hiver, le spectacle commence, orchestré par le soleil levant qui enflamme le ciel de tous les tons orangés possibles et jette des ombres faméliques sur les reliefs pour construire une ambiance wagnérienne. Je ne sais plus où donner des yeux tant le paysage, changeant de minute en minute, est magnifique.
Le son des vaches rejoignant leur étable, des paysans fauchant leur talus comme les anciens, des fromagers s’activant avec leur brebis complète le plaisir des yeux. En passant près des étables, l’odeur du lait fraîchement récolté vient délicieusement chatouillé mes narines.
Je vis une véritable explosion des sens et ne regrette décidément pas d’être passé par là sachant que l’an passé, il y avait eu un tel brouillard que je n’avais rien vu…
C’est cerné par les géants de pierre des Dents Blanches, qui me scrutent d’un œil sévère mais bienveillant, et ivre de sensation que je rejoins le col de Coux à 7h40, où je prendrai mon petit déjeuner.
Petite pensée pour mon ami Dejan avec qui j’avais fait le tour des Dents Blanches il y a quelques années.
Col de Coux.
La magie de cette journée continue.
Après le col de Coux, je descend une crête face aux Dents Blanches et constate que la trace… est droit devant. Une muraille gigantesque s’élève devant moi et je me demande vraiment où est le chemin.
Je ne vais pas être déçu. Rapidement, le chemin rejoint les barres rocheuses. Nombreuses chaînes car c’est tout simplement vertigineux. Mes lunettes de soleil manquent d’ailleurs de faire leur baptême de Base-jump. Seul et avec mon sac, je n’ai pas le droit à l’erreur. Mais cela m’amuse plus que m’effraie.
Au Pas de la Bide, la trace passe entre deux lames de rocher : obligé de poser le sac et de le tirer, comme en spéléo, pour passer. Et le tout avec un vide impressionnant autour de moi. J’adore.
Les barres franchies, le sentier s’élève droit vers le col Bostan. L’ambiance est très minéral, ambiance renforcée par l’ombre qui me couvre durant toute la progression.
Petite pose à l’abri Bostan et je file vers le col pour me poser un peu avant le raidillon final : le Pas au Taureau.
Le col de Coux
Le chemin est… droit devant
Passage vertigineux…
Abris Bostan
Col de Bostan
Droit devant, le Pas au Taureau
Après le col de Bostan, direction le Pas au Taureau. Ce que je craignais se vérifie : la foule (enfin… toute relative) arrive. J’accélère le pas pour éviter au maximum de me retrouver avec des touristes au dessus de la tête dans la cheminée : risque de chute de pierres maximum !
Le névé sous le Pas a définitivement disparu, c’est incroyable si précocement. Nous autres montagnards avons les yeux qui se mouillent à chaque fois qu’un glacier recule, ou que la neige fond prématurément, marqueur implacable du changement climatique désormais bien amorcé.
Je monte la cheminée en utilisant des techniques d’escalade ; je ne vais tout de même pas utiliser chaînes et câbles dans une cheminée si facile… on a sa fierté !
Sous l’arrivée du Pas, quatre touristes sont arc-boutés à la corde, tétanisés alors qu’il existe un chemin à côté sur lequel je suis. Et voilà une des conséquences de la sur fréquentation en montagne, l’arrivée de touristes totalement naïfs, et incapables de tenir sur leurs pieds. Le pire est que leur attitude est dangereuse pour les autres car des pierres peuvent partir à tout moment sur les copains du dessous (dont j’étais). Je ne suis pas le seul à râler d’ailleurs…
Le Pas au Taureau
La fameuse cheminée
Clampins en baskets qui font n’importe quoi : dangereux pour eux… et pour les autres !
Pas au Taureau. Je fuis le monde et descend direct sur la Vogealle. Le chemin le long de la moraine est magnifique.
Lac de la Vogealle
Lac de la Vogeale
Au refuge, je retrouve avec plaisir la gardienne avec qui j’avais fait un secours au Pas à l’Ours il y a quelques années. Nous avions descendu une famille perdue dans le brouillard et la pluie. Nous sommes très contents de nous revoir et papotons comme si nous nous étions quittés la veille.
Je me jette sur un repas gastronomique à base de diots et polenta (je ne peux plus avaler le moindre bout de saucisson ou de fromage…) afin de récupérer des forces.
Un berger arrive avec un agneau de 11 jours. Trop mignon. Bien entendu, je discute avec lui et nous sympathisons bien. Beaucoup de points communs entre un randonneur solitaire et un berger qui choisit de vivre isolé en montagne. Vu que manifestement il m’apprécie, il m’indique un spot de bivouac sous la tête de Puera. Génial ! J’ai la localisation de ma chambre pour la nuit !
Arrivée au bivouac vers 17h. La vue est en effet splendide ! Merci, merci.
J’ai désormais ma routine. Trouver un emplacement, monter l’abris, faire sécher la couette, faire une petite toilette…
Le soleil tape fort et il fait une chaleur de gueux. Je vais suivre la même stratégie qu’hier à savoir, lever tôt pour marcher plus.
La nuit a été fort bonne, même si en pointillé. En bivouac, j’ai tendance à me réveiller entre deux cycles, j’ouvre un œil pour voir si tout va bien et me rendort.
Sur les coups de deux heures du matin, des lumières clignotantes blanches et rouges ponctuaient le paysage. Mais qu’est ce donc ? Une attaque d’extraterrestres ? Un phare en pleine montagne ? Non, juste des lumières que les éleveurs mettent la nuit pour effrayer les loups. Alors je ne sais pas si ça marche sur les loups, mais sur les randonneurs, c’est certain.
Réveil à 4h. Je suis bien et il fait doux dans l’abri avec 8 degrés. Je traîne jusque 4h15 et commence à tout ranger. Petit déjeuner rapide et,,, c’est parti.
Je quitte le bivouac en direction du Pas à l’Ours. Comme je m’y attendais, je retrouve les bouquetins qui profitent de la tranquillité et de la fraîcheur matinale pour venir se désaltérer à l’eau de fonte des névés. Mais aujourd’hui, c’est un festival ! Je ne sais plus où donner de la tête entre les étagnes et leurs petits, les jeunes mâles qui s’exercent aux joutes dont ils seront les acteurs principaux quand l’heure viendra de faire leur cour. Pour l’heure, je suis seul avec eux et profite autant que faire se peut de cette communion singulière.
J’entre désormais dans un paysage lunaire. Un pierrer gigantesque protège l’accès à mon objectif matinal, la Pointe de Bellegarde. Les cairns, tels des phares dans une marée de blocs, m’indiquent la route pour arriver à bon port. Le ressac laisse apparaître, ici et là, des restes de névés en sursis.
Les bouquetins continuent de m’accompagner, non sans râler de temps en temps. J’entends leurs cornes qui s’entrechoquent, jeu du cirque animal dans un décor minéral. Là où la majorité voit de l’austérité, moi je vois de l’harmonie et trouve la paix.
Arrivé au sommet, le paysage est sublime. Je retrouve le Mont Blanc, l’Aiguille Verte, les Drus, les Aiguilles de Chamonix, vieux compagnons de route de mes rêves d’adolescents.
Je pensais l’effort fourni le point d’orgue de cette ascension. Quelle erreur. Comme parfois, la montagne réserve ses plus belles surprises quand on s’y attend le moins.
A quelques encablures du sommet, la trace s’oriente brusquement vers la falaise et passe dans une boîte aux lettres, sorte de goulet horizontal dans lequel je dois me faufiler. C’est qu’en plus d’être étroit, le passage est terriblement aérien ! Pour entrer dans ce goulet, il faut d’abord faire quelques pas en équilibre sur une lame de rocher avec une Tour Eiffel de vide sous les fesses. Puis, tel un vers de terre, ou plutôt de rocher, il faut ramper progressivement pour avancer autant qu’on peut, le sac qui racle contre la paroi, et les mains crispées sur une chaîne rouillée, dernier rampart de fin de chantier en cas de dérapage. L’étroiture est si exiguë que je dois pousser mes bâtons de marche délicatement tout en veillant à ce qu’ils ne prennent pas le chemin le plus rapide dicté par la gravité.
À la sortie, la fête n’est pas encore terminée. Je dois désormais descendre une pente raide de caillasse où rien ne tient. Le chemin (quel chemin ?) n’est pas balisé et seuls de vieux cairns, fidèles résistants au temps qui passe, témoignent qu’un jour cette trace fut usitée. Le risque de dérapage est réel et c’est aidé de mes deux bâtons que, bon an, mal an, j’arrive à la zone herbeuse.
Terminé les réjouissances ? Que nenni.
Toujours pas de cairns, toujours pas de trace. Et toujours 1500m à descendre pour rejoindre Sixt Fer à Cheval et mon ravitaillement.
Les pentes sont très raides et les herbes hautes ne facilitent pas l’identification du cheminement le plus efficace et le plus sûr. L’idée de piétiner une vipère irascible, juste locataire de cet habitat, n’aide pas à prendre mes appuis. Je finis pas retrouver le plancher des vaches et des brebis.
Pour terminer ce calvaire comme il se doit, me voilà contraint de descendre un bon millier de mètres sur une route carrossable, en plein cagnard.
Une fois à Sixt, je me rue dans une boulangerie pour me gaver de spécialités locales, prendre mon sandwich du midi. Puis c’est la direction de l’épicerie pour quelques fruits et compléter mon repas de midi. Le patron est absolument adorable et me propose de me reposer sur une placette ombragée qui lui appartient. Avec ce cagnard et l’effort fourni depuis ce matin, bénit sois ce saint homme.
Mais j’y pense, Rose-May travaille à dix minutes d’ici. Je tente de la joindre mais, damned, point de réseau dans ce petit village !!!
En squattant un café désert, j’arrive à avoir une connexion. Nous finissons par nous joindre. Coup du hasard, absolument unique depuis qu’elle travaille à Samoens l’été, les clients pour l’après-midi ce sont désistés et, tout en étant rémunérée, elle va pouvoir venir me rejoindre. Youpi !
Le vallon que je vais devoir suivre pour descendre
La fameuse falaise
Le cirque que j’ai descendu en arrivant par la gauche
Après nos courtes et éphémères retrouvailles, nous nous réveillons plus tôt pour Rose-May et plus tard pour moi, à 5h. Juste concession à ce que nous puissions nous voir, concession qui est le maître mot des couples comme chacun sait.
Je laisse mon amour d’une vie sans anxiété, tristesse, ou déception de ne pas continuer le chemin ensemble. L’amour qui nous unit est au contraire tellement fort qu’il nourrit notre besoin de vivre également des expériences chacun de notre côté, pour mieux se les raconter ensuite et partager notre vision, bonheur, à l’autre.
J’attaque la montée de Salvagny, qui se fait sans encombre. Il est tôt, tout le monde dort encore et la montagne s’éveille à peine. J’ai plaisir à parcourir ce chemin qui me rappelle ma traversée des Alpes l’an passé.
Cascade du Rouget que je peux contempler à loisir… seul. Privilège rare surtout en cette saison. J’en profite pour faire mon touriste et la mitraille dans tous les sens. La route se poursuit vers le Lignon. Je me sens léger, heureux et en paix. La forêt me protège de son ombre et son couvert bienvenus par la chaleur que je sens poindre.
Je marche vite, c’est un fait, mais je profite totalement du moindre pas que je fais. La communion est totale avec mon environnement. Chaque fleur, arbre, pierre a droit à sa marque de bienveillance. Je prends le temps de méditer auprès d’un conifère séculaire avant de poursuivre ma route.
Collet d’Anterne. Que j’aime ce chemin et ses vibrations. Je réalise comme il m’avait manqué et le parcourt décidément avec un immense plaisir. Les pelouses alpines sont magnifiques avec des fleurs par millers, de toutes les couleurs, de tous les tons. Et le contraste entre les immenses falaises des Fitz qui nous dominent avec cette fragilité et délicatesse florale contribue à la beauté du tableau.
Et soudain, il apparaît. L’impression de pouvoir le toucher du bout du bâton. Le Mont-Blanc. Patriarche des patriarches qui dominent de sa magnificence toutes les Alpes, et au delà. Le temps est superbe et permet d’admirer touts les détails, tous les pics, toutes les nuances de glace et de neige.
J’arrive au Refuge Alfred Wills. Courte pause autour d’un café hors de prix que je déguste avec une viennoiserie trimballée jusque là. Je prends le temps de discuter avec deux randonneurs sympathiques.
Du refuge, je file vers le lac et le col d’Anterne.
J’absorbe comme une éponge toute la beauté de ces lieux qui n’est, curieusement, pas encore trop polluée par une foule estivale et bigarré. Le monde que je rencontre est plutôt limité, et relativement discret. Certains jeunes font d’ailleurs vraiment plaisir à voir, tant leur motivation et envie d’apprendre est contagieuse. Je rejoins relativement rapidement le lac pour atteindre le col à 11h. Je prends le temps d’une courte pause destinée à faire le plein de calories.
C’est qu’il est pratiquement mi-journée, je suis parti depuis 5h, et il me reste le plus dur, le col du Brevent. La chaleur monte progressivement et voilà bien la crainte. L’eau est gérée autant que faire se peut : ni trop (ce qui ferait un poids inutile contribuant à la fatigue) ni trop peu (ce qui serait catastrophique par ces fortes chaleurs). Quelques photos au col du Mont-Blanc (sûrement la 500eme), et je repars. Cette étape promet décidément d’être mémorable…
Le mauvais temps l’an passé m’avait contraint à.esquiver cette partie en passant par Servoz. Cette année, ni pluie, ni brouillard, grand ciel bleu et paysage magnifique : c’est parti pour le col du Brevent que je n’avais jamais fait par ce côté.
Malheureusement, la chaleur se fait désormais bien sentir. Passer à tout prix avant que cela ne devienne vraiment insupportable. Je dois en être à au moins mon 2000eme mètre de dénivelé… et je suis loin d’être arrivé. Le chemin, plutôt agréable, descend d’abord et me fait perdre de l’altitude, beaucoup d’altitude… cette descente n’en finit pas… et il fait chaud. Très chaud…. Et il faudra bien que je remonte (principe des cols).
Ah, ça y est, me voici au point le plus bas, un pont qui traverse une petite gorge et un torrent. Et c’est reparti pour la montée, qui ne sera pas loin d’être un vrai calvaire. Déjà parce que je réalise que cette étape est décidément dantesque, mais également à cause des températures.
Ne pas s’arrêter. Je pique-niquerai au col, c’est devenu mon mantra. À chaque ruisseau traversé, je m’asperge d’eau, je bois comme un trou, trempe mon chapeau pour rafraîchir ma tête. Et je monte, je monte. 800m de dénivelé seront nécessaires depuis le pont pour atteindre le col du Brevent.
La récompense est énorme. Devant moi s’étale toute la chaîne des Alpes de Chamonix. J’en ai le souffle coupé tant les sommets semblent proches et si beau.
Pique-nique au col du Brevent, bien mérité. Ça y est, je suis passé ! Mais… l’aventure du jour n’est pas encore terminée…
Du col du Brevent, je réalise qu’il faut encore que je gravisse le Brevent ! Encore du dénivelé à faire… cela dit, après les calories du pique-nique et la chaleur, cela se fait plutôt bien. Après le selfie de rigueur, je file sur le refuge de Bellachat où je pense bivouaquer.
Reste le Brévent à monter. J’avais presque oublié… encore quelques dénivelés, des échelles en pleine falaise et ça y est, le voici à la gare d’arrivée du téléphérique, passage obligé pour la suite de mon parcours.
Je continue vers le refuge de Bel Achat et tombe même sur la zone de bivouac. Franchement, entre bivouaquer face à un des plus beaux paysages du monde (si, si) ou au camping des Houches au fond de la vallée, il n’y a pas photos. D’autant que l’étape a été longue et éprouvante, autant se reposer ici.
J’installe donc mon abri et toutes mes affaires dans la zone convenue, sur les crêtes à côté du refuge. Mais je ne m’y sens pas bien. Mon intuition. En plus, lorsque je m’allonge sur mon matelas, le voilà qui part en glissade sur le côté de la tente à cause du terrain pas droit. J’anticipe une nuit de. Bobsleigh ce qui n’est généralement pas très reposant…
Après avoir pris mon sirop rituel au refuge, je commande ma plâtrée de crozets accompagnés de leur salade. Le tout, hors de prix à cause de la pénurie en eau (6€ 1.5 litre). Et pas le choix car il n’y a aucune source dans le coin.
Et pour la toilette après une journée pareille ? C’est que j’aimerai bien retirer la sueur mélangée à la poussière sur mes jambes avant de filer dans mon duvet. Pas de douche, pas de lavabos… faudra bien faire avec.
« Et pourquoi vous ne dormez pas plutôt au lac du Brevent ? » me souffle la gardienne du refuge. « L’endroit est superbe, vous serez beaucoup mieux que sur les crêtes, et il y a l’eau du lac où vous pourrez vous laver… »
Mais c’est qu’il est 19h, et que j’ai tout installé… allons, allons… et mes principes de base ? Lâcher prise et vivre le moment présent… décision est prise : je remballe tout et file droit vers le lieu dit !!
Après 20 minutes de marche (quand on aime, on ne compte pas…) j’arrive au lieu-dit et c’est… un paradis. La gardienne ne m’avait pas menti !! J’installe mon abri à l’abris du vent, sur une pelouse bien tendre sur une terrasse face au lac. Que je suis bien... Allez hop, petite toilette : je plonge direct dans le lac pour un bain sous le soleil couchant. Lacher-prise on a dit…
D’ailleurs, je fais le tour du lac pour papoter avec mes colocataires d’un soir, très discrets au demeurant.
« Mais tu as un truc à prouver de faire DEUX fois la traversée des Alpes ?… » me dit l’un d’eux.
Simplement être libre et me sentir vivant, pensais-he dans ma tête… cela suffit, non ?
C’est propre et apaisé que je me glisse dans mon duvet pour une nouvelle nuit sous les étoiles.
Je pense à toi, à vous, à nous. Je vous aime et je suis heureux.
Comme je m’y suis attendu, la nuit fut absolument parfaite. Pas de vent, pas de condensation sur la tente, une température de 8 degrés plus qu’acceptable en ces temps de canicule… du coup, lorsque le réveil sonna à 5h, je m’autorisais une grâce matinée jusque 5h15 d’autant que je dois faire des courses aux Houches : arriver trop tôt le ferait attendre ridiculement, autant attendre un peu dans mon duvet. Mais bon, quand il faut y aller…
Pliage du camp ultra rapide et je pars rejoindre le chemin de descente sur les Houches en admirant, c’est vraiment le mot, le lever de soleil sur le Mont Blanc. Je me sens comme l’unique spectateur privilégié d’un spectacle juste pour moi.
La descente sur les Houches se passent sans encombre. Le sentier est essentiellement dans la forêt et même si quelques échelles ponctuent, ici et là, le rythme de mes pas, je prends cela \240comme un échauffement matinal.
J’arrive rapidement aux Houches où je file dans la boulangerie que j’avais découverte l’an passé pour un petit déjeuner indécent.
Aux Houches, je complète mon sac avec quelques agapes achetées au magasin du coin, fruits notamment. Puis je file vers le col de la Voza.
Et là, autant le dire tout de suite, j’en chie. La montée est rude dans les alpages et la forêt et la température commence à être indécente. Il fait chaud, très chaud, je m’asperge littéralement à chaque ruisseau que je croise, en offrant mon dos à l’armada fourbe de moustiques tapis dans l’ombre, trop contente de l’aubaine que représente ce dos cuit juste à point et dont le propriétaire est trop fatigué pour assurer une défense efficace. Je bois comme un trou, et au finit par monter, petit à petit. Et même si le paysage est simplement magnifique, je reconnais ne pas vraiment en profiter.
Au col de la Voza, je me rue dans la buvette locale que j’aurai bien achetée rien que pour moi afin d’en piller le stock. Courte pause car le chemin est loin d’être fini : c’est le col de Tricot que je vise avant de prendre mon déjeuner.
Du col de Voza, la trace empreinte la forêt dont l’ombre bienfaitrice contribue à lame redonner un peu d’énergie.
J’arrive à la fameuse passerelle tibétaine qui enjambe un torrent furieux. Je ne m’attarde pas trop, il y a du monde derrière moi. Je reviendrai hors saison pour profiter un peu plus \240de cet agrêt.
La montée au col Tricot s’apparentera plus à un véritable calvaire qu’à une promenade de santé. Calvaire par la chaleur, calvaire par la foule bigarrée et polyglotte des « trekkers » venus faire le Tour du Mont-Blanc dont la trace partage une section commune avec cet itinéraire. Point de randonneurs un tant soit peu expérimentés, ou soucieux d’apprendre la montagne, aucune recherche de connexion avec leur environnement, aucune béatitude ou admiration devant le spectacle qui leur est offert. Ici, on est venu consommer la montagne, comme on achète un billet pour Disneyland. Ce tour est proposé par des opérateurs pour que leurs clients puissent afficher les images de leur viol de ces cimes somptueuses qui finiront par combler les oubliettes abyssales des réseaux sociaux, après avoir toutefois tenter de récupérer un \240nombre de « like » qui rassurera leurs auteurs sur leur popularité auprès de leurs amis virtuels. Souvent inconnus d’ailleurs.
Le soleil écrasant ne peut ralentir mon élan soudain. Fuir, fuir a tout prix ce chaos visuel et totalement déplacé en ces lieux grandioses. J’arrive au col de Tricot, scène involontaire d’un concours de selfies international sur fond de glacier.
J’ai la chance de bien connaître ce col et ai le privilège de pouvoir revenir à la meilleure saison, en automne, pour jouir d’un spectacle égoïste. Je plonge donc directement de l’autre côté du col vers les Chalets de Miage. Un sirop, une grenadine et un fromage blanc me récompenseront d’avoir su ne pas me transformer en meurtrier alpin.
Des chalets de Miage, il y a encore une pente à grimper pour arriver sous le Truc (c’est le vrai nom). Bien que contournable, je ne lache rien et me fait le sommet malgré la fatigue et la température sahariennne. Ne rien lâcher.
Le col Tricot vu de la descente
La descente sur les Contamines ne présente aucun intérêt ; je file avec pour objectif de trouver une chambre pour la nuit. Besoin de me poser, de me reposer, de faire le point sur le reste de mon aventure.
L’office tu tourisme me dégotera mon oasis d’un soir en quelques coups de fils. Le temps pour moi de faire un peu de lessive, et je file faire quelques courses.
Dilemme.
Les fortes températures réclament de faire un choix stratégique : poursuivre sur la GTA que j’avais suivie l’an passé en restant essentiellement en fond de vallée ? L’avantage est qu’en cas de renoncement, la route est proche. Mais la chaleur logiquement plus élevée. Ou alors monter comme prévu en altitude ? Mais dans ce cas, je pars pour quatre jours en pleine montagne sans croiser le moindre village…
Au final, il n’y a pas vraiment grand chose en jeu. Continuer de lâcher-prise ?
Une nouvelle journée qui restera mémorable.
Je pars des Contamines à 5h pour environ 20km et 1500m de D+ que je souhaite absolument réaliser avant que les grosses chaleurs arrivent. Un peu fébrile sur la suite du parcours et souhaitant sécuriser au maximum, je pars à la recherche d’un distributeur de billets. Que je finirai par trouver à l’autre bout de la ville… au final, tout’d’bon comme on dit et c’est dans le nuit noire que j’entame ma montée au Refuge de Balme.
Le chemin est excellent et je monte à pas concentré. Je profite de chaque moment, écoute la forêt qui se réveille, absorbe par tous les pores les odeurs, d’humus notamment, écoute plus qu’entend le piaillement des oiseaux qui se réveillent. J’aime cette sensation et ce moment privilégié. Malgré le sac plus lourd que d’habitude à cause de la nourriture, je progresse vite et me sens bien.
Au dernier moment, j’ai décidé d’esquiver la montée au refuge de Tré la Tête qui, de nuit et dans la forêt, m’a semblé sans intérêt si ce n’est rajouté 700m de D+ optionnels.
Au final, j’arrive à Notre Dame des Gorges pour le début du dur.
Pont romain croisé sur la route.
Chalet de Nant Borran.
Le refuge de Balme pointe à l’horizon. Je m’y arrêterai pour un café, petite pause non pas nécessaire mais utile pour préserver la machine. Papotage avec la gardienne : apparemment, je ne suis pas le seul à être dépité par ce qu’est devenu le tour du Mont-Blanc et sa horde d’envahisseurs.
Montée vers le col du Bonhomme.
Arrivée au Col du Bonhomme que je verrai, enfin, par beau temps ET seul. Privilège rare, et que j’apprécie d’autant plus, sur ce parcours vraiment très fréquenté.
Premier col de la journée : fait. Je file vers le second, le Col de La Croix du Bonhomme.
La montée au Col de La Croix du Bonhomme n’offre aucun souci particulier. Cela monte régulièrement et les températures acceptables sont avec moi. La foule commence à arriver, essentiellement des trailers qui me doublent de temps en temps, ou des randonneurs partis du refuge en amont et qui font le tour dans l’autre sens.
Juste avant le Col de La Croix du Bonhomme, je bifurque à gauche vers mon objectif réel, le Col des Fours.
L’ambiance devient franchement lunaire, très minéral. Pas austère, non, minérale.
La encore, la montée régulière (je réfrène mon ardeur) me fait arriver sans soucis et très en avance au Col des Fours. Je prends le temps d’apprécier le paysage.
Mais que vois-je au fond de la vallée ? C’est déjà le refuge des Mottets, ma cible du jour ??? Il n’est même pas 10h et selon l’horaire officiel, j’y serai largement avant midi.
Que faire ? Rester comme prévu et suivre la stratégie initiale ? Ou bien… continuer ?
Au final, je décide d’être sage et de suivre mon plan initial. Si je veux tenir, il faut aussi que je laisse le temps à mon corps de récupérer et je n’entamerai donc pas la seconde étape.
Je poursuis donc ma descente sur le refuge, bien décidé à m’y reposer. À un croisement, le lac de Mya est indiqué. Connais pas et rien à faire d’autre alors, autant faire ce petit crochet. Peut être que cela vaudra le coup….
Ce que je découvre en arrivant est un véritable petit paradis. Magnifique. Tout y est, comme dans Heidi. Il serait criminel, et surtout idiot, de descendre dans la vallée pour joindre le refuge alors que je suis si bien ici. C’est la magie de l’autonomie et du lâcher-prise.
Me voilà donc bien décidé à rester bivouaquer dans ce lieu unique. Problème, j’ai huit heures à patienter…
… et le soleil commence à darder ses rayons. Je cherche de l’ombre et m’abritesous un rocher salvateur. Apres le déjeuner, je me recroqueville comme je peux sous le peu d’ombre qu’offre cet espace ridiculement petit. Bref, je me repose et tente de tuer le temps.
Quand soudain…
Un couple de randonneurs s’approche de l’endroit où je suis et non loin du lieu idéal où je souhaite dormir. Ah non, ils ne vont pas me pourir l’ambiance et la vue, ces deux là. Quand soudain, je n’y crois pas mes yeux, ce randonneur tranquille n’est ni plus ni moins que Bruno, un copain randonneur avec qui je m’étais lié d’amitiés l’an passé durant la GTA !!! Incroyable coïncidence de se retrouver là tous les deux…
Embrassades, accolades, nous sommes tous deux très heureux de nous revoir et. Ouf passerons tous l’après-midi à refaire le monde. Du coup, en plus du plaisir de revoir cet ami de façon totalement inattendue, et bien mon après-midi est passée rudement vite.
Toilette, lessive, montage du campement, cuisine et dodo. La routine du bivouac…
Une bonne nuit de repos m’attend avant l’étape virile du lendemain. Bonne nuit !
Les journées se suivent mais ne se ressemblent pas.
Comme désormais à l’accoutumé, je me réveille à 4h pour faire l’essentiel de mon effort avant les grandes chaleurs. Je range le camp en faisant le minimum de bruit pour ne pas gêner mes compagnons d’un jour, et les quitte définitivement pour de nouvelles aventures.
Je descend du lac Mya vers le refuge des Mottets, descente rapide et sans encombre entouré de la montagne qui se réveille. Le bruit des cloches des vaches et des traîeuses, le ballet des vachers, m’accompagnent dans ma jonction avec l’autre versant de la vallée.
L’itinéraire vers le col me laissait un peu dubitatif car invisible et surtout, en pointillés noir sur la carte IGN ce qui est généralement source de surprises, pas toujours bonnes. En réalité, hormis une section en schiste qui s’est un peu écroulée après l’hiver, le chemin, certes petit, est tout de même facile à suivre.
Le Col de l’Ouillon est vaincu à 8.45, soit 3h30 après mon départ. Durant la montée, je pense beaucoup à Rose-May car l’ambiance très pastorale lui plairait sûrement.
Je pense également à mes retrouvailles hier avec Bruno, totalement improbables. Moi-même, je ne savais pas cinq minutes avant que j’irai au lac. Je me demandais vraiment comment j’allais occuper mon après-midi, et il est apparu avec une de ses amis, lui, le randonneur que j’appréciais le plus dans les rencontres faites durant la GTA. Alors certains appellent ça hasard, d’autres, coïncidences. Je me plais plutôt à penser que l’on n’explique pas tout et que certaines choses nous dépassent, ce que les philosophes appellent synchronicité.
Au col, je prends le temps d’une pause calorique car le reste du programme est salé…
Lever de soleil quand je quitte mon lieu de bivouac
Le petit panneau qui m’a fait retrouver mon copain…
Ville des Glaciers
Les vaches qui font la queue pour la traite
Refuge des Motets
Montée au Col de l’Oubion : partie de sentier écroulée
Le col de l’Oubion, c’est lui
Derrière le col de l’Ouillon, l’ambiance est tout autre. Déjà, le soleil commence à taper fort, mais surtout, le paysage est absolument bucolique. Imaginez des alpages ondulants, couverts d’une pelouse alpine plutôt rase, des fleurs à perte de vue et au loin, une barrière rocheuse où se cache la suite de mon aventure.
Au départ, la descente se fait à vue, sans sentier, tant la direction est évidente. Et puis, petit à petit, les herbes hautes gagnent du terrain. Très très hautes les herbes ! Et puis les torrents descendants des montagnes bordant cette vallée bucolique commencent à enfler rendant l’identification de la bonne trace difficile…
Tiens, je tombe sur des herbes couchées. Probablement dûe au passage de deux jeunes campeurs que j’ai aperçus plus haut. Vu qu’ils sont venus du bas, logiquement si je suis ce tracé, ça doit être bon…
Les herbes sont de plus en plus hautes, elles m’arrivent au genou, parfois plus haut. Obligé de sonder avec mon bâton pour savoir où je mets les pieds ; je marche d’ailleurs plus à la sensation que me procure mes semelles de chaussures qu’au vIsu en espérant ne pas glisser sur un rocher caché, ou un trou.
La trace semble bonne, je la perds parfois, puis la retrouve. Et soudain, c’est le drame : cul de sac en haut d’un petit monticule où je me retrouve cerné par deux torrents qui se rejoignent. Pas le choix, il faut que je traverse. Je descends prudemment le talus qui borde la gorge. Ok, ca passe. La traversée du torrent se fait sans encombre mais pour remonter en face, c’est vraiment très raide et envahi par les hautes herbes ce qui fait que le terrain est totalement invisible. Comme dit le proverbe « Quand ça passe pas en bourinant, bourine plus ! » Startegie inélégante au possible, mais qui a montré son efficacité dans le cas présent.
Je continue ma descente jusqu’à choper le sentier qui va au Col de Forclaz sans autre souci manieur hormis la chaleur qui s’installe sournoisement.
C’est bucolique. Jusque là…
Le chemin vers ce nouveau col s’avérera une bataille rangée avec moi-même et ma motivation. J’ai vécu l’enfer.
Cela commence au coin d’une bergerie où je suis accueilli par deux molosses extravertis, qui ont toutefois le bon goût de laisser mes mollets en paix.
Alors ce chemin ? aucun balisage !
Alors oui, il y a - parfois - une vague sente large comme mon pied, pas mes pieds, mon pied, qui se perd encore dans les herbes hautes. La montée est rude, terrible, la chaleur m’accable.
Couplée à l’attention pour trouver ma route (merci le gps !), l’effort pour monter, pour garder mon équilibre car l’essentiel du temps je ne vois pas où je pose le pied, la gestion de la chaleur, je souffle comme une locomotive et me demande sincèrement ce que je suis venu foutre dans cette galère. Honnêtement, je pense faire partie des cinq humains ayant emprunté cette route une fois dans leur vie.
Moi qui voulait être seul, je dois dire que sur cette partie d’itinéraire, je suis servi. Et je sais pourquoi…
Le paysage est à couper le souffle mais je reconnais humblement qu’en l’espèce, j’en n’ai plus rien à foutre. Seul compte atteindre ce foutu col. A 2200m, il me reste encore 400m de D+ qui me semblent interminables. Alors je passe en mode machine : j’ai le droit d’aller aussi doucement que je veux, mais je ne m’arrête qu’une fois le col atteint. Alors je rentre la tête dans les épaules, boit un grand coup, et c’est parti !
La lente caravane se meut, louvoie entre les barres rocheuses, les pelouses alpines raides comme dès faces Nord, dérape sur la partie terminale en schiste et… ça y est. Un nouveau col de franchit !
Pique-nique en haut sous l’ombre salvatrice et improbable d’un bloc.
Col de Forclaz
Bon, me voilà condamné à descendre le col de l’autre côté maintenant… c’est un peu débile comme démarche, non ?
Et la, j’ai eu un sérieux coup de moins bien. Il fait chaud, pas de torrents dans lesquels se rafraîchir. Eau à économiser… Je descends comme un automate, pour ne pas dire zombie quand je me surprend à tituber.
Le lieu de mon bivouac est encore un point d’interrogation mais je vise le lac sans Fonds. Un lac, il y a toujours de l’eau, et généralement des zones plates. Je verrai bien. Dans la montée, je croise des touristes qui ne savent évidemment pas qu’on se salue en montagne. Du coup, je fais aussi mon malpoli, non mais. Une résurgence salvatrice me permet de remplir mes réserves d’eau : merci, merci pour ce cadeau. Au lac, quelques touristes ici et là mais qui auront tous décampés à 17h.
Je trouve un endroit plat et suis de toutes manières trop fatigué pour continuer. La vallée n’est pas très jolie et alors que mon bivouac offre un paysage plus qu’acceptable, il me faudrait remonter une sacré pente pour espérer trouver un endroit propice. Pas le courage, et quant au vent, et bien cela sera un excellent test de ma tente.
C’est pas au programme
Lac des Fonds
Ma maison pour la nuit
Ma baignoire pour mes ablutions et ma lessive
Décidément, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Après l’enfer que j’ai vécu hier, aujourd’hui a été une superbe journée de montagne durant laquelle j’ai pris énormément de plaisir.
La nuit a été très venteuse et plusieurs fois, la tente s’est trouvée secouée comme un prunier. Toutefois, la forme de l’abris en tipi est à l’évidence optimisée pour ce type de perturbation car même salement secouée, elle n’a pas du tout bronché. Du coup, j’étais totalement serein et ai dormi \240comme un bébé malgré les bourasques furieuses qui se manifestaient parfois. Le plus impressionnant étaient probablement les nombreuses chutes de pierre qui ont émané ma nuit. Même si mon emplacement était totalement protégé, cela faisait bizarre d’entendre ces cascades de pierre au caractère imprévisible.
Lever à 4h comme désormais mon habitude. Je commence à avoir le coup de main et en moins d’une heure, tout mon campement était dans mon sac, et le petit déjeuner pris.
Départ à 5h en direction du col du Petit Saint Bernard. La descente est magique. Je me sens bien et les images générées par le soleil levant et la lune couchante sont pour moi un rêve éveillé.
Col du Petit Saint Bernard et ses hospices, toujours en service (hôtel et restaurant).
L’étape d’après m’emmène au col de la Traversette. Cette montée n’a rien de sensationnel car emprunte une piste de ski et louvoie entre les pylônes. Je ferme les yeux sur cette opulence mécanique, totalement anachronique en été, et marche d’un bon pas vers le col. Je me sens bien, j’avance bien, je suis heureux.
Du col de la Traversette, je file vers le passage de la Jouie Blanche. Le paysage est absolument fantastique. Le chemin balcon sur une pente en pelouse alpine, serpente entre genévriers et rhododendrons. Des torrents ponctuent régulièrement ma trace, rafraîchissant le corps, et faisant chanter mes oreilles.
Au fond d’un vallon, je franchis un gros torrent dans lequel je puise une eau salvatrice, avant d’entamer le raidillon final de 500m de D+. Un rythme régulier me mènera sans trop de peine au col d’où la vue et l’ambiance sont décidément oniriques.
Je m’y sens bien et prends tout mon temps pour recharger mes batteries et profiter de l’instant présent, qui est proche d’un état de grâce.
Après une longue, mais pas désagréable descente à l’ombre, j’arrive au refuge du Ruitor. Une nouvelle fois, je prends le temps de boire un coup et de discuter avec le patron. Encore une fois, profiter du moment présent.
Cette vallée et ce refuge seraient des plans idéaux pour Rose-May et organiser des treks en étoile.
La chaleur commence à monter sensiblement et j’ai un coup de mou quand le gardien m’informe que le refuge est à 3h et nécessite de monter encore 500m de D+. Bon de toutes manières, pas le choix, il faut bien y aller…
En arrivant au refuge du Ruitor.
Refuge du Ruitor
Au final, malgré la chaleur, la montée au col du Montséti se passe très bien. D’un pas lent et régulier, soufflant régulièrement, les dénivelés s’enchaînent et j’arrive au col sans trop de mal. Peut être que je commence à me faire à ce rythme… en tout cas, je me sens bien.
Juste sous le col, je suis béni des Dieux en découvrant un rocher offrant son ombre protectrice face à un petit lac. Ni une, ni deux, je pique-nique et fais une petite sieste sous cette oasis inespérée. Dès que l’ombre commence à me lécher les mollets, je poursuis mas descente sur le refuge de l’Archeboc.
Je me réfugie à l’intérieur du refuge afin de bénéficier de son ombre protectrice et d’une collation en guise de goûter. Et ce soir, je profiterai du dîner : youpi !
Le refuge souffre du manque d’eau : plus d’eau pour les sanitaires et plus d’électricité… car hydroélectrique, la centrale n’a plus assez d’eau pour fonctionner. Nous sommes mi-juillet et le niveau des torrents est celui de mi-octobre. Les gardiens se demandent s’ils ne vont pas être obligés de fermer plus tôt à cause de cette pénurie…
Pour demain, j’ai changé mes plans et décide de ne pas passer par le col de l’Argentiere et le plateau d’altitude, mais plutôt de contourner par la forêt. L’itinéraire initial est certainement spectaculaire et sauvage mais inadapté aux conditions actuelles : il faut que je m’adapte et cela sera une bonne occasion de revenir avec Rose-May pour aller visiter ce plateau !
Par ailleurs, le chemin qui m’emmènera finalement vers le Monal passera par la forêt, laquelle me fera bénéficier de son couvert protecteur bienvenu en cette période de canicule.
Ce matin, de nombreuses pensées m’assaillent alors que je déambule dans la forêt qui me conduira du refuge de l’Archamboc au village du Monal.
C’est le gardien qui me dit qu’il va revenir avec des baguettes de sourcier pour trouver de l’eau pour le refuge, pathétique pansement sur la jambe de bois du sens de l’histoire.
C’est le guide qui explique que, pour la première fois depuis son ascension il y plus de 250 ans, les compagnies des guides de Chamonix et de Saint-Gervais refusent désormais d’emmener \240des clients au sommet du mont Blanc, car devenu trop dangereux à cause de la neige. D’énormes crevasses se sont ouvertes, et le mur de la Cote est devenu un passage en glace qu’il est trop dangereux de \240gravir, du moins sans prendre de risques inconsidérés.
C’est le vacher qui m’explique que le manque d’eau fait désormais souffrir ces bêtes, que les rendements en lait diminuent, et que la source de son chalet d’alpage, pour la première fois, est tarie.
Et nous ne sommes que mi-juillet.
En marchant dans cette forêt bienveillante, et en me remémorant toutes les observations que j’ai pu faire depuis quelques jours, je réalise que la montagne que j’ai connu a désormais disparu, n’est plus. À ceux qui pensent que ces changements inéluctables n’ont qu’un impact \240limité essentiellement aux habitants des montagnes, les professionnels du tourisme, l’agriculture, je répondrai que rien que cet impact est désastreux, touchant le théâtre qui, depuis des millénaires, a servi de terreau à l’imaginaire et à la spiritualité des hommes, du mont Sinaï au mont Ararat, du mont Kenya à Chomolougma. Et sur un registre beaucoup plus égoïste au cas où cela ne suffirait pas, je leur rappellerai que l’eau qui diminue dans les montagnes, et qui finira bien par se tarir dans un horizon très proche, c’est moins d’eau dans le Rhône, et donc moins d’eau pour refroidir les centrales nucléaires, et donc moins d’énergie pour tous. À très court terme.
En parallèle de ses pensées, je m’imprègne littéralement de la bienveillance de la forêt dans laquelle je marche. Il est tôt, j’écoute avec beaucoup d’attention, peut-être connexion, tous les sons qui sont émis dans cette forêt, le moindre chant d’oiseau, le moindre bruissement du vent dans les arbres, le moindre chuchotement d’un torrent. Je marche le plus doucement possible, comme si cette forêt était un château de cartes enchanteur, que le moindre bruit parasite pourrait faire écrouler. À un carrefour, je décide de m’asseoir au pied d’un grand arbre, pour écouter encore mieux ou pour - osons le mot– méditer un peu. Bientôt, c’est le chant du réchaud qui vient perturber ce doux équilibre, pendant un court moment seulement. Je prends mon petit-déjeuner en pleine conscience d’être l’invité d’un jour d’hôtes séculaires.
Alors que je me crois baigné en plein rêve, j’émerge soudainement de la forêt pour arriver sur les pistes de la station de Sainte-Foy Tarentaise. Le choc est violent. D’un coup je me retrouve sur les pistes de ski de 15 m de large, au sol devenu stérile depuis bien longtemps. Ces pistes sont bordées par des canons à neige artificielle (on dit maintenant neige de culture pour que cela soit plus joli, mais cela reste artificiel), \240chandeliers funéraires d’une nature violée dont l’objectif est de permettre à des skieurs bariolés de dévaler, quelques jours par an, les pentes entre deux touffes d’herbe et poster les photos de leurs pathétiques exploits sur les réseaux sociaux.
Pas après pas et pensées après pensées, j’arrive ainsi au village du Monal, charmant ensemble de pierre qui pourrait être un musée. La paix se dégage de ce lieu et c’est le cœur réchauffé par cette atmosphère sereine que je poursuis ma route vers Tignes le Lac.
WC avec vue imprenable.
Le Monal
Après le Monal, mon chemin se poursuit vers les Bréviéres. Peu de choses à dire sur ce sentier bien balisé si ce n’est que la chaleur se fait de plus en plus proéminente et devient par moment difficilement supportable. Si, en altitude, le manque d’eau s’illustrait notamment par les nombreux torrents asséchés sur ma route, ici, plus bas dans la vallée, cette sécheresse se traduit par des champs désespérément jaune plutôt que d’arborer leur couleur verte habituel en ce mois de juillet.
Après quelques kilomètres, j’attendrai enfin les Bréviéres, village situé au pied du barrage du lac de Tignes les Boises. Je prendrai ma collation du midi dans un restaurant, avant de filer vers la dernière étape de cette journée : Tignes le lac.
Ma montée à Tignes le lac se fera sous une chaleur écrasante, mais que je supporterais plutôt bien, notamment car le chemin, bien que montant,, est en grande partie ombragé par le couvert d’une forêt.
Ce retour à la civilisation est certainement brutal, mais \240nécessaire afin que je puisse me reposer un peu, et me ravitailler. Ce soir, je dormirai dans un petit hôtel que j’ai découvert lors de ma GTA l’an passé, et dînerai dans ma chambre en transformant joyeusement ma salle de bain en cuisine et salle à manger.
Aujourd’hui, j’ai parcouru mon 200eme kilomètre. Cette étape m’amène à reconsidérer mon expérience : je ne veux plus suivre un itinéraire établi mais, au contraire, me laisser porter par l’envie du moment à suivre telle trace, à faire un détour pour voir un joli lac, ou passer sur un chemin porteur de souvenirs.
À la trace dictée par un mental rationnel que je devais suivre, c’est désormais le cœur qui parlera et me guidera.
Tignes les Boisses et son barrage
Tignes le Lac, au moins aussi joli.
Je quitte Tignes et ses verrues bétonnées sur les coups de 5h du matin, comme d’habitude. L’air est frais mais serein. Je me sens bien après la nuit passée à l’hôtel. Le sourire me monte aux lèvres en repensant à l’état de ma chambre à coucher et comment j’avais transformé la salle de bain en cuisine - salle à manger pour me cuisiner mon avocat, mes sardines, mes pâtes au comté, ma pastèque, mes tomates… un vrai festin.
Premier objectif : le col de Fresse. Celui-ci s’atteint via les pistes de ski et de VTT qui lézardent les pentes au dessus de la station. Pas vraiment agréable, raison de plus pour ne pas traîner. Arrivé au col, je tatone un peu avant de trouver le chemin qui m’emmènera au col de la Rocheure car toutes les pistes de VTT ont masacré le départ. Bref, je ferme les yeux et tente de ne pas me focaliser la dessus : le plus beau reste à venir.
Une fois sur le chemin, je laisse les remonte-pentes et les pistes derrière moi pour parcourir les alpages. Je savoure chaque moment, chaque pas que je fais, me sentant en communion avec l’environnement.
Tignes le lac au petit jour
Val Ferret, à côté de Tignes
Montée vers le col de Fresse
Le paysage est extrêmement minéral et très dépouillé. Pas une fleur ou un brin d’herbe sur cette portion. On se croirait dans un autre monde, et j’aime beaucoup cet aspect lunaire.
Petite pause tranquille. Prendre le temps et lâcher-prise…
Peu après, je me retrouve proche des alpages où paissent des vaches, des jeunes génisses. Et là, je ne fais pas le malin car, à l’évidence, elles semblent très curieuses d’en savoir plus sur cet uluberlu qui se balade dans les alpages de si bon matin… et elles commencent à foncer sur moi ! Je dois plusieurs fois user de ma voix et des bâtons pour les maintenir à distance raisonnable. Une fois ce petit monde calmé, je reprends ma route et les vaches… commencent à me suivre ! Voilà que j’arpente les chemins avec un troupeau de vaches qui me suis… c’était pas vraiment au programme mais tant qu’elles restent à distance raisonnable, cela me fait (maintenant) plutôt rigoler.
La route continue vers le col de la Rocheure. L’ambiance est toujours aussi minérale et je me sens toujours aussi apaisé, vraiment en communion avec mon environnement. Je prends mon temps et malgré cela, progresse très très vite. Depuis mon départ de Tignes, je suis dans la solitude la plus absolue : je n’ai croisé absolument personne et cela me va plutôt bien. Le col est atteint à 11h30. Vue fantastique sur les glaciers de la Vanoise et le massif du Mont-Blanc. J’en profite pour faire vivre en live ce moment avec les parents qui sont ravis de voir ces fabuleux paysages.
Discussion avec une famille du Nord s’étant établi à Bourg Saint Maurice. Intégration tellement difficile qu’ils envisagent de déménager.
Pique-nique au col, d’où je contemple les sommets. Je me sens si bien qu’il va être compliqué de descendre.
Je vis vraiment une magnifique journée de montagne.
En route vers le col de la Rocheure
Le Mont-Blanc montre le bout de son nez…
Et le nez montre son bout blanc…
Col de la Rocheure : validé !
À droite, les glaciers de la Vanoise
Massif du Mont-Blanc
Du col de la Rocheure, il me fait malheureusement descendre. Je crains être au refuge très tôt malgré les 20km de marche, crainte qui s’avérera totalement justifiée.
Dans la descente, je lache totalement prise : je me sens si bien que j’ai l’impression de ressentir la montagne, son énergie, ses vibrations. Soudain, je m’arrête face à elle et, dans un dialogue qui n’appartient qu’à nous, entre en communion avec elle. Je lève les bras en souriant de toutes mes dents : l’homme libre ! Voilà ce que je suis venu chercher : la liberté.
C’est sur un petit nuage que j’arrive au refuge de la Femma. L’équipe m’accueille merveilleusement bien. Je mange ma crêpe et bois mon sirop, prends ma douche et lave mon linge, et pourtant, il n’y à rien à faire, je ne m’y sens pas bien.
Ascenseur émotionnel.
Après ce que je viens de vivre avec la montagne, les merveilleux paysages, je réalise que ce bonheur, je ne peux le partager qu’avec mon sac à dos. Je me sens très seul tout d’un coup, un énorme coup de moins bien.
Les familles et les couples autour de moi ne font qu’appuyer sur cet état de fait.
Il n’est que 16h et j’ai encore 3h à patienter avant le repas. Que vais-je pouvoir faire pour m’occuper ? Je n’en peux plus ; il faut que je bouge ou je vais commencer à déprimer sévèrement… ni une, ni deux, c’est décidé : je descends à Plan du Lac ! C’est cela la liberté, non ? Je règle tout ce que je dois au gardien qui, le pauvre, est un peu dépité, et refile sur les chemins pour un rab de 10km supplémentaires pour atteindre le refuge.
Descente vers le Refuge de la Femma
La marmotte a décoré sa maison
Refuge de la Femma
Refuge de Plan du Lac atteint à 18h après une descente sportive.
Je retrouve le sourire face aux glaciers de la Vanoise et à la Grande Casse que je peux presque toucher du doigt. Je plante le bivouac avec une vue époustouflante sur les sommets. L’accueil chaleureux du patron et un bon repas en compagnie de quatre jeunes belges très sympathiques (pléonasme) contribueront à embellir ma soirée.
J’ai toujours le cœur un peu lourd, mais je sais que je dormirai au moins en paix cette nuit.
Mon instinct à été une nouvelle fois un excellent conseiller. J’ai passé une excellente nuit dans mon bivouac face à la Grande Casse et ai décidément bien fait de quitter le refuge de la Femma pour Plan du Lac hier soir.
Au petit jour, je rejoins les lacs d’altitude situés au dessus de l’Auberge de Bellecombe, connus des seuls initiés car pauvrement balisés et à peine indiqués sur les cartes.
Le jour qui se lève pare d’argent la surface de ces lacs dans lesquels se reflètent les paysages alentour. Je croise de nombreux chamois qui semblent également profiter de la sérénité des lieux pour se restaurer avant la venue des heures chaudes. Cheminant ainsi entre ces petits lacs, tous à la personnalité unique, j’ai le sentiment de vivre littéralement un moment de grâce. A un moment, je m’assois en haut d’une butte face à la Dent Parrachée, aux glaciers de la Vanoise, à la Grande Casse, pour prendre mon petit-déjeuner.
Même si ces glaciers sont désormais aussi dégarnis que mon crâne, j’ai plaisir à me recueillir auprès de ces vieux amis avec lesquels j’ai de nombreux souvenirs.
Cet état de grâce, tout le monde malheureusement n’est pas en mesure de le partager. Durant ma montée au Lac de Bellecombe, je croise en effet une vachère \240qui vient voir si le volume du lac lui permettrait d’abreuver ses vaches, sa source et sa citerne ayant désormais un débit trop faible pour fournir les 3000 litres quotidiennement nécessaires à son troupeau. Malheureusement, elle réalise ne pas avoir la longueur suffisante de tuyau pour puiser l’eau du lac et semble pour l’heure, totalement désespérée.
Ce matin, ma motivation à poursuivre la route est en grande partie revenue. Ces épisodes de yoyos émotionnels ou psychologiques sont normaux sur un trek aussi long et en solitaire.
Guidé par mon lâcher-pride et la liberté qui me guide durant ce cheminement, je sais d’ores et déjà que le Mercantour ne saurait être une option cette année, a cause de la chaleur écrasante qui harcèle mes épaules, ma tête, mes jambes et mes bras depuis le début de cette aventure. La bonne nouvelle est qu’un plan B existe, c’est celui d’arriver par Nice, arrivée officielle du GR5. Oh bien sur, cette arrivée sera beaucoup moins belle que l’arrivée sur Menton, je n’ai aucun doute à cela. Mais si cela peut me permettre de boucler mon aventure dans ces conditions difficiles, c’est évidemment le chemin que je choisirai.
Une fois les lacs passés, baigné par la lumière du soleil levant du côté du Thabor, je continue ma descente sur Termignon en traversant ce que j’appelle une forêt cathédrale. C’est une forêt avec des arbres à l’évidence séculaires, pointant leur cime à au moins vingt mètres au dessus de ma tête, si ce n’est plus, bordant ma route d’une manière que je perçois comme excessivement bienveillante. Une nouvelle fois, une grande sérénité se dégage de ces lieux et je ne peux m’empêcher de me poser, de temps à autre, de les regarder, et de ressentir l’énergie et la paix qui se dégage de cette forêt. Ces arbres bordent ma route comme autant de candélabres qui éclairent mon chemin intérieur.
Petit à petit, mètre après mètre, ma longue descente vers Termignon se poursuit.
Je passerai une heure à Termignon afin de recharger ma batterie, faire quelques courses et profiter des talents du boulanger local pour remplir mon estomac avec ses péchés de gourmandise.
Le Chemin du Petit Bonheur, synonyme pour moi de nombreux excellents souvenirs, porte aujourd’hui définitivement mal son nom et est d’une desolation sans comparaison.
Le soleil tape sans discontinuer sur la tête comme le marteau sur l’enclume, ses rayons, affûtés comme des carreaux d’arbalète, \240taversent toutes les protections pour entrer au plus profond des os et rendre chaque nouveau pas plus difficile que le précédent.
Cette bataille rangée fit qu’aucun habitant, aucun touriste, aucun voyageur ne se risquaient à mettre le nez dehors et c’est résolument seul que je progresse donc sur ce chemin de feu en direction de Modane.
Lorsque je traversais les villages, une étrange impression de fin du monde me gagnait, supportée par le silence pesant des habitations, et des rues désertes, mais sans toutefois que cela soit totalement désagréable.
Derrière l’aérodrome de Soiières - Sardières, je tombe, sans l’avoir anticipé, sur un des rochers d’escalade sur lesquels j’ai fait mes premières armes de grimpeur, il y a des années. Étrange sensation de se retrouver là, seul, à toucher ce rocher sur lequel je projetais quelques humbles exploits rêvés. Je m’imagine alors, vingt ans en arrière, en train de grimper et pendant que je m’escrime sur mes gratons, le nez collé à la roche, le voyageur solitaire et silencieux que je suis aujourd’hui regarde le spectacle de cette lutte entre l’homme et la gravité en imaginant le chemin parcouru par ce jeune homme devenu homme, puis mari, puis père. \240Sourire.
Une plaque récente rappelle toutefois que l’escalade est un sport dangereux, jamais débonnaire. Mélissa en a payé le prix fort à 18 ans, paix à sa jeune âme.
Paradoxalement, après mon pique-nique et ma petite sieste à l’ombre à Bramans, je ne me sentais pas si mal que cela, et l’ambiance bien qu’apparemment austère, contribuait finalement à soutenir mon projet de réaliser cette randonnée le plus possible en solitaire. Je m’aperçus d’ailleurs qu’avec le temps, je commençais à supporter de moins en moins le bruit, les cris, les discussions creuses, et qu’au contraire me faisaient de plus en plus sourire les marques de bienveillance, l’amour au sein d’une famille, les cris de joie des enfants.
Après Bramans, le chemin rejoint rapidement un couvert forestier. La température devient plus clémente, bénéficiant également d’une couverture nuageuse aussi inopinée qu’impromptue. De temps en temps, une douce brise vient même rafraîchir ce doux hurluberlu obstiné, focalisé sur l’identification d’un coin pour poser sa tente ce soir. Au final, cette balade sur le chemin du petit bonheur commence à prendre d’agréables accents, permettant à mes pensées de divaguer comme lorsque je suis bien en montagne.
Pont du Nant Blanc, en face de la redoute Marie-Thérèse à Aussois. J’aperçois au loin un bolide blanc, une voiture de course, qui descend la route en faisant bruyamment vrombir son puissant moteur. Après tout ce que j’ai vu en montagne, le manque d’eau, la sécheresse, je ne peux m’empêcher de penser « quel pauvre type ». Sur le pont, deux jeunes gars en short - claquettes - casquette - lunettes dorées applaudissent et crient quand la voiture passe à leur hauteur. Nous ne sommes pas du même camp.
La journée aura été longue, éprouvante, à marcher sous ce soleil de plomb. Passage par la Norma et choc des civilisations entre moi, mon sac et ma démarche, et les vacanciers en short - claquettes qui promènent le chien ou s’amusent sur la base de loisirs, J’arrive bon an, mal an à Modane, une ville devenue d’une tristesse infinie. De nombreux magasins sont désormais fermés, leur devanture grise tombant en décrépitude. Non sans mal, je finis par trouver le camping de Modane où je passerai la nuit. Le gardien est fort sympathique et après m’être acquitté de ma redevance, je pars à la recherche du lieu idéal pour planter ma tente \240avec autant d’exigence qu’un chat qui cherche l’endroit où il va faire sa sieste.
Je plante vite car le ciel menace : de sombres nuages se sont accumulés au dessus de nos têtes. Malgré les paroles rassurantes du gardien, je crains que celui-ci ne nous tombe dessus. Et cela ne loupe pas ! A l’heure du dîner, un orage copieux déverse son trop-plein de mauvaise humeur sur nos toiles et nos têtes : repli général dans la salle hors sacs qui servira d’oasis à tous les campeurs.
Je passerai le dîner en compagnie de deux hollandaises (dont une avec un doctorat en immunologie) qui font le GR5… depuis le début, soit depuis les Pays-Bas ! En effet, les français dans leur arrogance coutumière pensent que le GR5 commence et finit en France : erreur. Ce chemin commence bien puis au Nord, au Pays-Bas, et ces demoiselles le suivent depuis trois mois. Chapeau à elle.
En fin de soirée, juste après ma douche réparatrice, Rose-May m’informe qu’elle prend finalement une semaine de congés fin juillet pour que nous puissions passer un moment ensemble. Je suis décontenancé par la nouvelle car cela veut clairement dire que mon projet de rejoindre la mer tombe à l’eau. Et en même temps, tellement content de pouvoir être un peu ensemble.
Je m’endormirai le soir un peu inquiet car ma gorge me fait de plus en plus mal. J’espère que cela va vite passer…
La nuit fut absolument horrible. Le gars qui a installé ce camping entre la route qui monte au col du Fréjus et la gare ferroviaire de fret n’aime décidément pas les gens !
Se faire réveiller plusieurs fois dans la nuit pas les crissements de frein des trains est une expérience que je ne recommande pas…
Je me lève tout de même tôt car l’étape du jour est assez longue, mais également une de mes préférés. Ma gorge est désormais bien irritée et m’inquiète de plus en plus. \240Pliage du camp, petit déjeuner dans la salle hors sac, et c’est parti.
Première étape : regagner les hauteurs via Val Fréjus. J’essaye de regagner la trace via un chemin au dessus de ma tête, mais galère et ai peur de perdre du temps dans les meandres urbains imposés par la route du Fréjus. Je décide alors de rejoindre Fourneaux et d’attaquer la montée, en suivant le chemin de l’an passé.
Celle-ci est raide, très très raide, dans la forêt et sous l’autoroute. L’avantage est que le dénivelé se paye au prix fort mais se gagne rapidement. Ma première étape du jour à Val Fréjus est ainsi rapidement bouclée et justement récompensée avec un copieux petit déjeuner.
La route continue vers le col de la Vallée Étroite. J’adore l’ambiance avec la brume, les nuages jouant avec le relief, les vaches qui se ruent sur leur petit déjeuner et puis, s’arrêtent de brouter, pleine de curiosité, quand je passe à proximité. Le Thabor est là qui me domine, magnifique sommet trônant tel un patriarche au milieu de sa tribu.
Le col de la Vallée Etroite est bientôt atteint. Je suis estomaqué par le peu de randonneurs que je croise en chemin : c’est simple, je suis littéralement seul depuis mon départ de Modane alors que cette vallée est normalement très fréquentée. Tant mieux pour moi, mais l’impression est très étrange.
Sitôt franchi le col qu’il faut déjà redescendre. Éternel yoyo de ce sport un peu particulier… J’adore vraiment cette partie de mon itinéraire. La Vallée Étroite exerce sur moi une attraction que je n’explique pas, les paysages sont sublimes et le fait d’être seul ajoute à la magie du moment. Si ce n’était mas gorge qui le faisait de plus en plus souffrir, le tableau serait idyllique.
Au bout de la vallée, juste après ce petit pont, je trouve un coin de paradis pour me poser, pique-niquer et faire ma sieste. L’herbe est grasse et confortable. J’installe une corde à linge entre deux arbres pour faire sécher les vêtements (que je lave tous les jours) avant de me jeter sur le saucisson et pain frais achetés à Fréjus. L’air est doux et paisible. Je suis bien. Le ventre repus, je m’allonge pour une sieste bienvenue en me laissant bercer par le bruit du torrent qui coule à quelques mètres de moi.
Les Granges de la Vallée Étroite. Petit arrêt pour me réhydrater a coup de sirop de grenadine et puis direction le Col des Thures.
Une autre étape importante de cette longue journée : le col des Thures. La montée, bien que sous une chaleur toujours extrême, se fait rapidement en profitant de la douceur du couvert forestier. Je suis toujours aussi seul et continue ainsi de profiter de la quiétude des lieux. Paysage toujours aussi sublime, notamment avec son lac et ses grandes herbes qui flottent à sa surface.
Le grand plateau a un air de Mongolie, sa traversée sur un terrain stabilisé et plat permet aux jambes de récupérer un peu. Malheureusement, l’invitation au bivouac de ce magnifique endroit doit être déclinée à cause des troupeaux paissant sur ses pelouses et du manque d’eau. Tant pis, peut être hors saison ?
La journée n’est pas encore terminée puisque ce soir, je dors dans un gîte très chouette a Plampinet. Il me faut pour cela encore franchir le col de l’Echelle et me taper une longue, très longue descente jusqu’au village… toujours sous une chaleur écrasante et alors même que j’ai de plus en plus de mal à avaler ne serait-ce que de l’eau…
Lac des Thures
La descente vers Plampinet depuis le col de l’Echelle commence en réalité… par une montée pour atteindre ledit col. Mauvaise surprise qu’il me faut toutefois prendre avec le sourire puisque… pas le choix.
Ensuite, la descente dans la forêt sera interminable et je fais tout pour que cela aille le plus vite possible. Arrivé en fond de vallée, il faut encore rejoindre le village ce qui nécessite de traverser plusieurs profonds torrents à sec, dont les pierres qui le tapissent agissent comme autant de briques réfractaires chauffées par le soleil et dont l’unique but semble être de terminer ma cuisson bien à point. Je peine, je transpire, je souffle. J’ai chaud et suis fatigué. Et inquiet aussi pour ma santé.
Je finis par atteindre le gîte tant convoité en fin d’après-midi. L’accueil est toujours aussi chaleureux et j’ai plaisir à retrouver le terrain où planter mon abri pour la nuit.
Mais qui vois-je assis à une table ? Les deux frère que j’ai croisé ce matin en sortant du camping à Modane ! Et bien, ils en ont sous le capot aussi ces deux là. Cédric et Arnaud, deux frères d’une grosse quarantaine qui se sont lancés comme défi de boucler le GR5 en bourinant certaines étapes. Dont une qu’ils projettent de faire en 43km… Bonne chance les gars… surtout avec cette chaleur. Vraiment très sympas, ils m’inviteront à leur table pour le dîner au cours duquel nous aurons des discussions passionnantes sur l’agriculture et sa nécessaire transition.
Mon état de santé se dégrade. Ma gorge me fait de plus en plus mal, j’ai vraiment beaucoup de peine à déglutir, je tousse, et crains que cela empire sans traitement. J’espère simplement que la nuit sera réparatrice. Croisons les doigts.
Je ne le sais pas encore, mais j’entame aujourd’hui la dernière journée de mon trek.
La nuit a été plutôt bonne à Plampinet, mais je me réveille avec un mal de gorge atroce qui m’empêche même d’avaler ma propre salive. Une simple gorgée d’eau devient une coulée de lave incandescente. Et lorsque je touche, ce qui sort de ma gorge est vraiment très très moche. La bonne nouvelle est que j’ai tout de même de l’énergie ce qui devrait me permettre de rejoindre Briançon.
Briançon. Ce nom sera ma fixation du jour pour plusieurs raisons. Deja car si je dois arrêter, c’est une ville emblématique à mi-parcours, à quasi 300kms de mon point de départ, mais aussi parce que je pourrai trouver tout ce dont j’ai présentement besoin pour ma santé (médecin, médicaments, hôtel) et enfin, car il y a une infrastructure routière et ferroviaire qui devrait me permettre de rentrer au bercail relativement facilement (en fait, non, mais je le découvrirai plus tard).
Première grosse étape du jour : le Col de Dormillouse, via les chalets des Acles.
Montée sans problème, et ce malgré mon état, dans ce vallon. Le chemin commence par une route carrossable qui n’a rien de sympathique si ce n’est le paysage qui l’environne, absolument magnifique. Cette route se poursuit jusqu’aux chalets des Acles. L’endroit est paisible et plusieurs spots avant les chalets învitent clairement au bivouac.
J’ai enclenché le mode « machine de guerre », totalement obnubilé par le fait d’atteindre Briançon et de voir un médecin au plus vite. Je continue donc d’avancer sans me poser plus de questions et file désormais par le col de Dormillouse. De route carrossable, le chemin devient progressivement sentier avec des montées parfois rudes, face à la pente.
L’atmosphère matinal baigne la montagne de cette paix que j’aime tant juste avant le lever du soleil. L’occasion également de faire de fugaces rencontres avec quelques chamois et de prendre de nombreux clichés.
Chalets des Acles
Le col de Dormillouse atteint, je file vers le second col de la journée que j’aperçois au loin : le col de la Lauze, clé incontournable pour rejoindre Montgenèvre et Briançon.
Allez… un nouveau coup de collier et c’est reparti…
La montagne qui se réveille continue de m’offrir un spectacle personnel. Les courbes du terrain associées aux ombres offrent à mon regard des tableaux extrêmement graphiques.
J’arrive au col de la Lauze. Toujours préoccupé par mon état de santé, la logique voudrait que je prenne le chemin le plus rapide pour rejoindre Montgenevre, puis une navette pour Briançon afin de consulter au plus vite. Oui mais voilà… quand on est passionné, ben, on ne se refait pas…
Du col de la Lauze, deux possibilités s’offrent à moi pour descendre sur Montgenèvre : 1h40 par la forêt et les pistes (bof) ou bien en 2h40 via une montée sur les crêtes avec vue imprenable sur les Écrins garantie. Alors ?
Et bien le docteur attendra ! Je ne vais tout de même pas louper cela ! Allez hop, c’est parti pour les crêtes, avec du rab de dénivelé et du temps en plus. Quelques mètres après être parti et en pleine montée sur les crêtes, je ne peux m’empêcher de sourire de ma bêtise, diraient certains, de ma passion et liberté, diraient d’autres. Quoi qu’il en soit, le spectacle sur le dôme des Écrins, le Pelvoux, la Meije… valait largement l’effort.
La descente sur Montgenèvre sera en revanche beaucoup moins drôle dans les foins et la forêt. Je sens que mon état se degarde et ne pense plus qu’à rejoindre la ville.
Arrêt dans une boulangerie pour me remplir l’estomac. J’ai beaucoup de mal à parler, à manger et à boire. Parfois, je suis parcouru de frissons ce qui, vu les températures, est pour le moins inattendu et signe vraisemblablement une affection plus sérieuse qu’un simple mal de gorge. Je pense bien évidemment au Covid…
Les Écrins en arrière plan.
Le chemin de Montgenèvre vers Briançon sera un véritable calvaire. La chaleur est écrasante, je ne peux plus boire à cause de mon mal de gorge.
J’avance en mode automatique. Je ne vois plus rien, je ne pense plus à rien, seul compte désormais atteindre la ville le plus vite possible. Je vise les urgences de l’hôpital afin de recevoir un traitement pour cette foutue gorge.
La fatigue entraîne un manque de concentration et plusieurs fois, je perds la trace dans les meandres de la forêt, me rajoutant ainsi du rab de dénivelé et de kms. Chaque erreur est un nouveau coup de massue sur ma motivation et c’est sur la seule base de ma force de caractère que je continue de mettre un pied devant l’autre.
Qu’il est long, ce chemin… Bien plus que ce que j’avais en tête après l’avoir parcouru l’an passé. A Montgenèvre, je me suis posé la question de prendre une navette pour rejoindre Briançon. Mais non ! Têtu comme je suis, je tenais absolument à arriver à pied dans cette ville emblématique au cas où cette étape devait être la dernière de mon périple. Têtu et passionné, un cocktail assez déroutant, voire détonnant… même pour l’intéressé…
Pas après pas, je progresse vers le Pont d’Asfeld, porte d’entrée emblématique de la ville montagnarde. Je suis clairement dans le rouge depuis plusieurs heures, puisant dans mes réserves pour continuer d’avancer.
J’atteins enfin le pont et le traverse sans joie, sans gloire, simplement comme la marque d’une nouvelle étape pour gérer ma situation délicate. À la sortie du pont, je m’écroule à l’ombre d’un pilier, proche de l’épuisement. Pas tant physique que psychologique car je ne sais plus quoi faire : l’hôpital est encore à trente minutes à pied… Or la ville est carrément pleine de montées et descentes que je ne me sens plus d’assumer, surtout sous des températures indécentes (Briançon est la ville la plus ensoleillée de France !). Je reste \240assis là pendant de longues minutes, profitant de l’ombre du pilier que je n’ose plus quitter, tel un naufragé dans le désert se reposant dans une oasis luxuriante après des jours de marche sans espoir.
Je n’ai toujours pas de solution mais il faut bien que je bouge. Je finis par me lever et commence donc à suivre la direction des urgences à travers la ville. Soudain, j’aperçois quelques parasols en contrebas qui me tendent leurs baleines accueillantes. Mon cœur balance, mais pas très longtemps, et décide « qu’avant l’effort, le réconfort ». Le bar qui me reçoit et très sympa et j’entame, autant que faire se peut, la discussion avec le patron qui a peine à me comprendre tellement j’ai du mal à parler.
Après tout, je tente de voir mon problème différemment. Plutôt que d’aller cramer plusieurs heures aux urgences sans finalement que cela change grand chose à mon état, peut-être que la priorité est avant tout de me reposer au calme et à l’ombre. Un hôtel. Oui, c’est ça ma vraie priorité en fait ! Un hôtel !
Comme d’habitude, le patron du bar sera une mine d’information pour m’indiquer les hôtels avec des chambres encore libres dans cette ville prise d’assaut par les touristes. Merci à lui !
Une heure après, je me jette sur le lit et commence une longue phase de récupération qui durera jusqu’au lendemain. Un tour rapide à la pharmacie me confirme ma contamination par le Covid-19..
Cette situation signe la fin de mon périple. Je doutais déjà pouvoir ainsi continuer rien qu’à cause de la chaleur (cela fait deux semaines que je me lève entre 4h et 5h tous les matins pour marcher quand il fait un minimum frais, épuisant et pas tenable sur le long terme) mais couplé au fait que je sois malade, les planètes ne sont définitivement pas alignées pour que je continue.
Le retour à la maison sera plus compliqué que prévu, les transports en commun, et notamment ferroviaires, étant tous complets. C’est finalement Rose-May qui viendra exfiltrer son vagabond d’époux après son engagement à Samoens.
Une fois rentré, il me faudra plusieurs jours pour évacuer la fatigue accumulée et me remettre du Covid.
Mais sitôt le matériel nettoyé et rangé, je n’ai plus qu’une idée en tête…
Ceci n’est pas un test de grossesse.