Le premier train en direction de Lausanne, arrive. Dernières embrassades, et je monte dans le train qui va me mener à Saint-Maurice. Je suis tellement content que Rise-May ai pu venir m'accompagner pour débuter ce périple. Dans ces moments, je réalise toujours à quel point elle est importante pour moi. Ces moments sont d'ailleurs toujours difficiles, c'est ce que j'appelle « l’élastique ». Il me faut, dans ce genre d’aventure engagée, en solitaire, effectivement un certain temps pour commencer à me détacher émotionnellement de ma vie \240« d’avant », pour commencer à me plonger réellement dans le vécu de mon trek. C’est une étape difficile mais naturelle que j’appréhende beaucoup moins qu’avant. Voyage en 4 trains jusqu'à Saint Moritz se passe sans problème. Six heures tout de même. Les trains suisses, qui font la fierté de ce pays,ne sont \240vraiment pas une légende. A l’heure, propres, avec des passagers polis et respectueux, le voyage se passe décidément sans encombre. Le paysage rencontré me laisse un peu sur ma faim car le train passe vers le nord, et donc plutôt vers les plaines, alors qu'en arrivant dans la région montagneuse, il chemine plutôt dans des gorges.
La station de Saint Moritz offre à mes yeux, pratiquement aucun intérêt. Station huppée perchée au fond des Alpes suisses, ce n'est dans les ruelles qu'une succession de voitures, de luxe et de magasin à \240l' avenant : Rolls-Royce, Maserati, Porsche, et Ferrari, se côtoient dans un ballet multicolore et quelque peu indécent au milieu des magasins Rolex, Gucci, Vuitton, pour les plus abordables. Les Mercedes les plus chères ne sont ici réservées qu'à la piétaille. Dans ce décor anachronique, je déambule en souriant, absolument conscient d'être un Arlequin au milieu d’une foule endimanchée, avec mon bermuda exposant mes pattes poilues au regard de ces dames, et mon sourire béat, narguant une population qui se pense être l'élite du monde.
Heureusement, le petit hôtel que j'ai déniché m’offre un havre de paie dans lequel je je vais pouvoir me reposer, en attendant, le départ prévu demain matin. La patronne, absolument charmante, m’a placé dans une chambre très calme qui propose tout le confort. J'en profite pour me détendre, passer un dernier coup de fil à Rose-May, lire, me concentrer, et même méditer un peu. Je prends mon repas à l'hôtel, et me gave de protéines, sachant que c'est ce qu'il me manquera probablement le plus durant ce Trek. Je me couche relativement tôt et passe une bonne nuit. En attendant la première journée de ce trek de 700 kilomètres à travers la Suisse que je débuterai demain matin.
Et voici le premier jour de ce trek qui a été littéralement extraordinaire. Vraiment une journée comme je les adore. Tout a commencé après une bonne nuit de sommeil. J'ai pu discuter un peu avec Rose-May, faire le point sur la situation, prendre un bon petit déjeuner, et puis : c'est parti ! Sur les coups de huit heures, je me rends à la télécabine afin de prendre la premiere télécabine qui m'emmènera au départ officielle de cette aventure. L'employé a l'air un peu perdu avec le bon que j'avais pourtant acheté à partir du site Web officiel hier, ce qui me stresse un petit peu. Au final tout finit par se résoudre trois minutes avant le départ, et me voici dans la première benne, prêt à en découdre avec ce trek plein de promesses.
Et là, pas de doute, le topo n'avait pas menti. Ça attaque sévère, très sévère même. L'ambiance est extrêmement minérale, lunaire dirait certains. L'isolement est total, je ne rencontre vraiment pas âme qui vive pendant plusieurs heures. Le paysage est littéralement à couper le souffle, des couleurs de pierre incroyables où le blanc le plus pur côtoie le vert flamboyant, le rouge sang, et même un violet franc que je n’avais jamais vu. Les cols s’enchaînent à un rythme relativement élevé, poussé par un temps incertain et parfois franchement menaçant. Tout de même, pour un premier jour, flirter avec les 3000 m, ce n'est pas donné. J'arrive assez à la fin de la première étape sur les coups de 12h30. Je me pose donc pour une brève collation, avant de repartir rapidement à cause de la météo, attaquant ainsi la deuxième étape officielle.
Cette deuxième étape est plus facile que la première, mais ne reste pas moins très sérieuse. Les montées et les grosses descentes s’enchaînent à un rythme soutenu. Même si mon corps résiste bien, je commence à sentir quelques douleurs sous mes pieds, probablement à cause de mes chaussures qui sont quasi neuves et plus rigides que celles de d’habitude. Petit à petit, je rejoins les alpages, où je retrouve les vaches qui paissent tranquillement, au milieu de prés bucoliques que n’auraient pas renié Heidi. Je continue à un bon rythme, jusqu'à rejoindre Tiguas, fin de la deuxième étape.
Au final, je viens de m’enquiller deux étapes en une soit 24 km, ainsi qu’un nombre conséquent de cols, dont deux à pratiquement 3000m. Le problème est que je n'ai pas identifier d'endroit pour dormir et que je commence à être un peu fatigué. On est humain, tout de même. Je suis donc ma stratégie habituelle, à savoir rejoindre le premier (et unique) gîte dans le coin, boire un coup, discuter avec le patron pour savoir comment je peux m'organiser. Après avoir bu un coca local, j'aborde donc la patronne du gîte pour savoir si elle aurait un emplacement pour moi. Le deal sera conclu après avoir validé le fait de prendre le dîner chez elle. Je n'ai rien contre mais je reconnais que les 80 Fr.. qui me sont demandés me restent un petit peu en travers. Toutefois, je décide de faire confiance à l'univers, de lâcher prise, et je verrais bien…
L'emplacement qu'elle me trouve pour la tente, sans être grandiose, n'en est pas moins confortable et plat. Ça suffira bien pour récupérer en attendant l’étape de demain. En revanche le dîner, pour lequel je m'attendais à un dîner typique dans un gîte, est limite un repas gastronomique ! Le chef vient nous voir en personne pour présenter chacun des plats. Les tables sont ornées de nappe en tissu, petite bougie, couverts bien présentés, j'hallucine, littéralement. En fait de dîner, c'est un véritable festin qui va me remplir l'estomac, un festival de saveurs.
Décidément, l'univers est toujours aussi taquin et a décidé de me faire encore quelques surprises ce soir. \240La patronne m'a placé à une table dans une petite salle, à côté d'un couple. Nous sympathisons très vite, et la conversation s’engage autour de la randonnée, de nos approches respectives. À l'issue du dîner, intrigués par mon équipement, ils aimeraient me rejoindre à ma tente après le dîner pour que je leur montre mon équipement. Rituel fréquent du MUL en voyage auquel je me soumets avec plaisir. Dans l'intervalle, mon petit univers, m'a fait rencontrer un couple de personnes âgées qui habite juste à côté de l’endroit où j’ai planté ma tente. Ils sont absolument adorables, et il m'apportent même une chaise longue, pour que je puisse admirer le paysage confortablement et un petit verre d'une boisson locale. La conversation s'engage toutefois difficilement, puisque ils ne parlent pas vraiment anglais, et je ne parle pas vraiment allemand, mais cela dit \240avec la bonne humeur et des sourires, on arrive à se comprendre a minima. Tout en étant la source de grands éclats de rire.
Dans l'intervalle, mon petit couple arrive pour discuter autour de mon équipement. Étant donné que le monsieur parle très bien anglais et très bien allemand, je lui demande alors de traduire mon métier, auprès du monsieur âgé qui m'avait posé la question. Et ce qui s’est produit là est incroyable. Lorsque j’explique qui je suis, mon traducteur est stupéfait et a peine à le croire. Ce monsieur est en réalité médecin, spécialiste de l'ostéoporose à Bern, connaît très bien IOF à laquelle il voulait soumettre un projet de recherche ! Nous n’en revenons pas tous les deux et rigolons de cette coïncidence incroyable… mais le hasard existe-t-il vraiment ? Merci petit univers pour cette journée définitivement magique ! Lâcher prise et faire confiance réserve décidément de chouettes surprises…
Je suis parti ce matin à 6h45 depuis Tigias. La route serpente gentiment parmi les alpages… Les montagnes se réveillent, le soleil se lève doucement, je suis bien. Soudain, le chemins suit une trace sur la droite qui monte d'un coup pour atteindre un haut plateau dans les alpages. L'ambiance est vraiment bucolique, avec ses tapis de fleurs innombrables, ses marmottes qui s’enfuient devant moi en sifflant, ses chamois qui me regardent d’un drôle d’œil avant de bondir vers d’autres pentes. Je prends mon temps et apprécie vraiment l'ascension dans ce paysage hors du temps. Quelques pauses sur une crête face au paysage ponctuent cette marche en pleine conscience prétexte à quelques grignotages, histoire de me redonner quelques forces.
Au bout de quelques heures à serpenter ainsi dans ce paysage de rêve, le sentier devient progressivement une route carrossable. Celle-ci n'est toutefois pas désagréable, et serpente gentiment entre les alpages et la forêt, laquelle offre une ombre bienfaisante. La chaleur commence à se faire sentir progressivement soutenu par un très fort ensoleillement, et la réverbération sur le chemin. Je commence à sortir mon parapluie-ombrelle, qui, je ne le sais pas encore, fera des miracles aujourd'hui. Et même les jours d’après.
Un croisement manqué et la pénalité de 100m de D+ tombe avant de comprendre mon erreur. Je redescends aussi sec, vexé par ce surcroît de fatigue dont je me serai bien passé. La chaleur commence à être de plus en plus présente, et je continue ainsi ma progression protégé par mon parapluie bienfaiteur.
Bon an-mal an, j'approche ainsi de Savognin qui apparaît littéralement, écrasée par le cagnard, qui tape comme un marteau sur une enclume. Je décide donc de m'arrêter à quelques encablures de la ville pour pouvoir pique-niquer, à l’ombre des épicéas, perché sur un petit rocher qui me protège des fourmilières. Je me sustente gentiment, et en profite pour faire une petite sieste. La stratégie est de me reposer un maximum pendant qu'il fait chaud pour, éventuellement, continuer ma route. C'est que j'ai déjà 20 km dans les pattes et pas loin de 2 1000 m de dénivelé !
Sur les coups de 13 heures, je descends de mon piédestal pour arriver en ville. La chaleur alors apparaît étouffante avec la réverbération sur le goudron dont je n'ai plus l'habitude. Je me réfugie sur la terrasse d'un petit restaurant désert où je vais littéralement, vidé un demi-litre de coca dans mon estomac. Je ne sais pas trop quoi faire avec cette chaleur : remonter parait un peu déraisonnable, quant à rester en ville, dans la chambre d'un hôtel, je n'en ai vraiment pas envie. À force de tergiverser, je décide de repartir, protégé par mon bouclier thermique. Et puis c’est tout.
Comme prévu, la sortie de la ville à travers une route carrossable, sous un cagnard de plomb, est très difficile. Encore une fois mon parapluie me sauve la mise et je vais ainsi pas après pas grignoter le dénivelé qui me sépare d'un air un peu plus frais en altitude. Étonnamment, je continue quand même de profiter du paysage, progressant, très lentement, très lentement. Le chemin est encore une route carrossable qui serpente entre les alpages, et dont la destinée est les fermes en altitude. J'en prends mon parti, et ce n'est pas si désagréable que cela au final. Petit à petit, je prends de l'altitude, un omettant pas de me désaltérer à chaque fois que je peux croiser un point d’eau.
Mon objectif est désormais de trouver un endroit de bivouac et je dois dire que la partie n’est pas encore gagnée. En effet, j'arrive dans une zone d'alpages, où paissent tranquillement les vaches, beaucoup de vaches, et les pentes de ces alpages n’offrent clairement pas un emplacement pour bien planter son abri, d'autant que tous les terrains, les prés, appartiennent ostensiblement à des propriétaires qui logent dans le coin.
Ce n'est pas grave, je continue de monter jusque trouver mon bonheur. Lâcher prise et faire confiance à la Vie.
Sur les coups de 18 heures, une grosse faim se fait sentir. Plutôt que d’attendre mon éventuel point de bivouac, je décide de m’écouter et sort toute la popote pour faire la cuisine à l’ombre d’un épicéa.
Repus, je reprends ma route vers le Pass ….. en continuant à monter à travers les alpages. L’heure tourne et c’est à 20h que je trouve un emplacement douillet sur l’herbe épaisse pour passer la nuit. Je suis quand même bien fatigué de ces 30km et 2000m de dénivelé; je me glisse dans mon duvet rapidement et après un rapide échange avec la famille, tombe pour entamer un sommeil qui s’avérera très réparateur. La nuit sera fantastique, très calme, et constellée d’étoiles jusqu’à ce que la lune vienne leur rende visite. .
Excellente nuit au bivouac où je range tranquillement mes affaires avant de monter au col juste au dessus de moi. Temps magnifique. La descente sur Ausserferrera n’offre rien de particulier.
Arrivé à ce village présenté comme la Mecque de l’escalade mondiale sur blocs, grosse déception: le village est tout petit, il n’y a personne, pas même une petite épicerie pour se ravitailler.
En chemin, mon téléphone a fait des surprises en étant indisponible pendant plusieurs minutes. Gros stress. Je le recharge au village dans des toilettes publiques.
Je repars ensuite vers Splügen. Cette partie sera un vrai calvaire. Chaleur énorme, dénivelé conséquent et le chemin est un vrai casse patte avec un entrelacs de racines et de gros blocs. Chaque pas est différent du précédent. Il fait chaud, la marche est difficile et j’ai de moins en moins d’eau.
Pique-nique sur un rocher en équilibre entre les fourmilières qui n’offre qu’un faible répit.
En sortie de forêt, c’est un long chemin au début carrossable, puis cimenté, en surplomb d’une autoroute qui m’emmène à mon point d’arrivée. Splügen, petit village tres pittoresque.
Très fatigué, je décide de récupérer dans un hôtel très sympathique plutôt qu’au camping Quelques courses à l’épicerie du coin, et repas pantagruélique me redonneront des forces, avant une bonne nuit de sommeil, nourrie par la réflexion de “l’intention “ de mon périple, histoire de comprendre vraiment ce que je recherche.
La nuit porte décidément bien conseil car j’ai enfin trouver mon intention .” Tout faire pour aller au bout, en profitant à fond du moment présent”.
C’est reposé et détendu que j’attaque cette journée de vin marin. La sortie de Splügen est une rude montée que j’attaque avec un sourire jusqu’aux oreilles, en communion avec la nature environnante. Je monte à travers les alpages et vois la ville s’éloigner petit à petit.
Grand cadeau de mon petit univers, d’abord une salamandre sur le chemin. Puis plus long, un couple carrément en train de se faire des bisous (que la pudeur m’interdit de photographier). Quelle chance !…
Le chemin progresse dans un vallon onirique et paisible, au milieu des troupeaux de vaches et de brebis. Un patou vient me saluer de manière très courtoise. À la Suisse, quoi.
Je finis par rejoindre mon col à 2500m et ne m’attarde pas. Le chemin est encore long devant moi. Je plonge dans la descente facile qui se transforme, au bout de quelques kilomètres, une nouvelle fois en route. Arghh…. Que c’est pénible. Mais je garde le sourire et vis à fond le moment.
Petite pause sous un arbre à l’ombre en fond de vallée. Je repars et seulement une heure après, je tombe sur un endroit idyllique pour ma pause casse-croûte, sous de beaux arbres, au bord d’un ruisseau.
L’occasion est trop belle et malgré l’heure précoce, je profite de ce petit coin de paradis pour me restaurer, et faire une petite sieste. Mes ronflements me réveilleront…
Après cette pause bien appréciée, je repars sous un soleil de plomb qu’une nouvelle forêt magnifique viendra adoucir.
Je progresse vite et silencieusement, ce qui m’offre parfois de belles surprises… Ainsi, au détour d’un virage, je m’engage sur un pont pour franchir un gros torrent dont le bruit est assourdissant. Raison probablement pour laquelle un superbe renard en train de boire, ne m’a pas entendu arriver. Trois mètres nous séparent, pas plus. Il est magnifique. Je n’ose bouger une oreille de peur de rompre le charme et glisse doucement la main dans la pochette de mon téléphone pour prendre une photo… trop tard. Il lève la tête et soudain, nos regards se croisent : quelle beauté ! Quelle sensation de plonger ainsi son regard dans celui d’un animal sauvage ! Le temps vient de suspendre son vol. En moins de temps qu’il. En fait pour le dire, le Goupil fait demi tour et plonge aussi sec dans les fourrés.
Merci, merci, pour ce cadeau que je n’oublierai pas de sitôt.
La suite sera un long chemin dans les alpages au milieu des chalets typiques de la région. Même si en plein cagnard, je gère bien la chaleur en portant le maximum d’eau et en buvant toutes les deux minutes.
Soudainement, un petit coin de paradis s’ouvre devant moi. Une magnifique ferme de 200 ans rénovée en hôtel, des fleurs partout et le gazon tondu invitent à la méditation et au repos. Sans le savoir, me voici arrivé à la destination officielle de mon étape. Problème, il n’est que 15.30. Que faire ?
Après avoir pris un jus de pommes et \240contemplé le magnifique paysage, je me sens en communion avec l’endroit et ne peux me résoudre à partir comme ça. Je prends donc ma chambre et le repas du soir, c’est décidé. Vivre le moment présent ! (Et pis c’est tout).
Le repas s’avérera absolument excellent. Quant à la chambre, elle est immense et rénovée avec très bon goût. Quant à la literie…. Wow…. Je sens que cela va être dur de la quitter demain matin. Sans compter la douche, ma nouvelle meilleure amie…
Hormis le plaisir de rester dans ce superbe hotel-gite-refuge, la météo à venir va me donner doublement raison : c’est un véritable épisode orageux, dantesque, que nous allons traverser du début de soirée et pendant toute la nuit. La région est en alerte maximale. La foudre tombera non loin et fera même sauter les disjoncteurs… Conclusion : toujours avoir une lampe frontale avec soi quand on va à l’hôtel.
Merci, petit univers, de m’avoir si bien inspiré… Quelle belle journée.
Différence avec la GTA (en cours de rédaction)
- Isolement
- Personne fait le trek
- Pas de refuges, de bars de restaurant de ravitaillement
- Plus de portion de route
- Plus de faune
- On mange à 18 h
- Pas d’activité dans les champs
- Cher
- barrière de la langue
C’est une drôle d’expérience que celle de la solitude. Surtout quand elle est attendue, presque désirée. Et je reconnais que sur ce plan ci, cette aventure ne me déçois pas.
Depuis le début, en effet, mon isolement est quasi total. Hormis les quelques connexions avec la famille et amis, ô combien régénérantes, je ne croise absolument personne, vraiment personne, sur le sentier. Nul refuge, ou bar, où je pourrai rencontrer du monde. Les rares contacts sont l’épicière du coin, la réceptionniste du gîte, vite conclus car ne parlent généralement ni français, ni anglais. Voilà.
C’est vraiment une expérience atypique…
Cette journée a été une nouvelle fois extraordinaire. C’est avec le sourire et le cœur en joie que je me réveille sur les coups de 5h. Ma stratégie de rester à l’hôtel a été sans aucun doute la plus sage car des orages dantesques ont claqué toute la nuit : dormir en bivouac dans ces conditions aurait été, si ce n’est déplaisant, vraiment dangereux. Je scrute la météo et, malgré le réveil aux aurores, décide d’attendre 7h pour me lancer à l’assaut de mon dénivelé du jour en laissant passer les dernières cellules orageuses.
Je pars de l’hôtel en combinaison de pluie, le parapluie en main. J’attaque la montée dans une belle forêt, majestueuse, où des épicéas séculaires me saluent de bon matin. Il règne une belle atmosphère, limite sacrée, renforcée par le climat pluvieux en train de s’estomper. Soucieux de profiter de la fenêtre de tir au maximum, je grimpe comme un cabris les 800m qui me séparent du col. Au passage, je salue quelques vaches et leurs veaux en train de brouter en amont de maisonnées typiques de la région. Le versant d’en face offre un spectacle somptueux avec les sommets émergeants à travers les derniers nuages récalcitrants. La température augmentant, ce sont d’autres nuages qui se forment depuis la vallée, en de grands tourbillons laiteux et évanescents.
Le chemin est bon, très roulant, si ce n’est les cadeaux de mes copines bovines savamment disposés ça et là dont le but à peine voilé est sûrement de trahir l’adhérence de la semelle de mes chaussures… je redouble d’attention car si déraper n’est pas déshonorant en soi, finir la tête dans une grosse bouse de vache ne m’attire pas vraiment. Surtout de bon matin.
Le col est en vue. Encore quelques efforts soutenons par l’air frais matinal et me voici de nouveau à pratiquement 2500m. Je suis scotché par la vue en face. Enfin, j’aperçois les premiers sommets de plus de 4000m de Suisse ! Il était temps après tous ces kilomètres dans le foin parcourus. Je profite du moment présent avec une pause gustative. Le temps est soudain plus calme et me laisse un peu de répit pour admirer, prendre quelques photos, réfléchir aussi.
Soudain, une rafale légère, mais fraîche, me rappelle que la partie est loin d’être gagnée. Que j’ai encore une grosse descente de 1700m et une petite montée de 400m devant moi avant d’atteindre Vella, où un gîte pour randonneurs échoués, m’attend.
La descente, d’abord sur un chemin de montagne, puis sur un chemin carrossable, puis carrément sur une route, me font perdre l’altitude nécessaire pour franchir le torrent de fond de vallée avant de passer sur l’autre versant. .
En chemin, je croise une forêt encore absolument majestueuse qui me rend très humble en regardant ces cimes pointant vers l’éther. D’ailleurs, je vais m’y poser pour avaler mon pique-nique, parenthèse nutritive vite interrompue par un nouveau grain. Le fourbe.
Le ciel est parfois très menaçant, m’obligeant à jouer à cache-cache avec la pluie et à jongler en permanence avec le matériel. Un coup je sors le parapluie, ah \240mais alors il faut que je range un bâton sous la bretelle du sac. Ah et bien voilà que la pluie se renforce… du coup, je mets la veste et la jupe. Mais je garde le parapluie ou je le range ? Et la casquette dans tout ça, j’en fais quoi, car cela protège bien de la pluie aussi ?
Au final, j’arrive à ce fameux pont, point le plus bas de tout le trek : 810m ! 2100m d’écart avec les cols du premier jour ! C’est presque de la speleo à ce niveau…
Bon, c’est pas le tout mais arriver en bas, il me reste 400m à remonter pour rejoindre Vella. Avec un ciel de plus en plus menaçant, de gros nuages d’encre qui se forment, pas le temps de lambiner.
Dans cet environnement pluvieux, je bénis mes nouvelles chaussures. Autant mes trails avaient fait des merveilles pendant ma GTA, autant elles auraient vraiment souffert (et moi aussi), ici. Le cuir est beaucoup plus résistant pour les pierriers d’altitude du premier jour. Avec la pluie d’aujourd’hui, voila mes chaussures moulées à mes pieds… la semelle Vibam adhère sur tout, par tous les temps. Et voilà au moins trente ans que cela dure… et je reconnais que le GoreTex a fait des merveilles en m’empêchant d’avoir les pieds trempés sitôt sorti du chalet (ça viendra plus tard mais il s’en sort tout de même avec les honneurs).
J’arrive à mon hôtel à Vella un quart d’heure avant qu’un orage furieux éclate. La foudre tombe même non loin de ma chambre. A ce propos, merci de m’avoir donné un dortoir pour trois pour moi tout seul…
Repos. Rapides courses à la petite épicerie « Volg » (l’équivalent de notre Sherpa), petite et nécessaire lessive, et repas au restaurant de l’hôtel viendront ponctuer ma soirée.
Je pense avoir vu juste avec ma stratégie du jour. Demain est en effet une belle étape sur une crête et si je pousse un peu, je pars pour quelques jours isolé en montagne : une bonne nuit de repos ne sera pas donc de trop.
Fidèle à mon intention, je continue de profiter du moindre pas que je fais, du moindre chamois vu, de la moindre marmotte. Un peu moins de la pluie, mais j’y travaille.
Merci, merci.
« Greuut Tsée » (bien rrrrouler le « r » s’il vous plait)
C’est ainsi qu’on se salue entre randonneurs dans le pays des Grisons, patrie du Suisse Allemand. Je ne sais toujours pas ce que cela signifie, ni si je le prononce bien, mais je me plie au rituel de bonnes graces avec les randonneurs que je peux croiser, c’est à dire entre zéro et trois par jour jusque là.
Cette journée a été une incroyable journée de montagne que je ne suis pas prêt d’oublier. Déjà par la distance parcourue, 34 km, le dénivelé indécent que je garde pour moi, mais surtout et avant tout par les paysages, l’ambiance, les lieux traversés.
Tout a commencé en partant de mon petit hotel de Vella à 6h15.
Je monte tranquillement d’abord les prés, puis la forêt, afin de rejoindre la crête où se déroulera la majeure partie de cette première partie.
Je croise les habituelles vaches, toujours aussi curieuses, quelques cerfs, beaucoup moins curieux mais beaucoup plus véloces, avant d’atteindre un petit lac artificiel. Je suis seul, comme toujours, et bien, comme souvent.
Une petite pluie intermittente est juste là pour me rafraîchir durant ma montée et ne me dérange pas plus que cela.
J’atteins je chemin de crête en ménageant mes efforts. Ce chemin, que je vais suivre pendant quelques kilomètres, offre une vue imprenable sur les nuages, à droite et les nuages, à gauche. J’en suis quitté pour voir des montagnes. Pas grave. L’essentiel restant d’apprécier encore et toujours le moment présent, l’ambiance n’en restant pas moins magnifique.
Mais qu’entends-je subitement ? Du bruit derrière moi ? Un paysan sans doute, avec un sac pareil… je ne vais tout de même pas me faire polluer mon plaisir par… la foule ??
Il s’agit en fait d’un jeune randonneur qui parcourt le chemin national 6, tout comme moi. Et là arrive le paradoxe. Alors que je \240soulignais le caractère solitaire de mon trek, je ne supporte pas d’avoir à discuter et encore moins, de devoir faire un bout de chemin avec ce jeune homme (qui m’a l’air somme toute sympathique, hormis le fait qu’il soit là). Très curieuse, ma réaction de rejet… Je le laisse donc me doubler pour continuer chacun notre route.
Je le retrouve au point culminant de la crête. Quelques mots, on est poli tout de même. Lui repart, moi je reste, entre La Croix du sommet, les panneaux indicateurs, les nuages et le vent.
Descente du sommet. Une pluie fine commence à tomber, l’occasion une nouvelle fois d’apprécier mon parapluie fétiche, et ma jupe (de pluie).
J’apprécie beaucoup la descente progressive dans la belle forêt.
Frayeur. Mon téléphone me note qu’il est « indisponible ». Verrouillé. Bloqué.
Impossible de faire quoi que ce soit. Il m’indique de ressayer dans une heure… je ne comprends pas la cause de ce blocage et suis inquiet. Sur un tel trek, cet objet technologique est mon lien avec le reste du monde, mon GPS, mon appareil photo, mon journal, ma météo…
Chargé à 80%, je le branche sur ma batterie externe, et le mets dans mon sac à dos. Après quelques temps, le téléphone remarche, youpi ! Je comprendrai plus pars que c’était les secousses dues à la marche qui entrait des codes de déverrouillage, évidemment erronés. J’ai été très chanceux en fait car le blocage d’une heure est le dernier avertissement avant… blocage définitif ! Et là, cela aurait été une autre histoire. Ouf…
Arrivé à Vrin et déjeuner dans une pizzeria. Sur les coups de 14h, je repars, comme d’habitude, pour le prochain col autour des 2400m - 2500m. La pluie s’estompe doucement et moi, je monte tout pareil. Autant dire qu’il n’y a pas âme qui vive par ici et c’est tant mieux car… enfin… m’y voici !… je trouve enfin la montagne que j’aime ! Finis les prés et pâturages à perte de vue. Enfin, la pelouse alpine, les pics et ravins, les pierres et rochers, le dénivelé ardu et la descente glissante…
Arrivé au col, mauvaise nouvelle : j’entre dans une zone où le bivouac est théoriquement interdit. La magie des adverbes… c’est sympa les amis, mais pourquoi vous le dites que maintenant ?
Pas le choix, de toute manière, je ne vais tout de même pas redescendre les pratiquement mille mètres que je viens de monter…
Je continue donc et arrive au plateau de la Greila. Et là… je suis subjugué par le spectacle qui s’offre à moi !
J’arrive au plateau… le paysage est fabuleux. Je suis scotché par ce que la nature m’offre.
Les nuages se déchirent, jouent avec les sommets. La lumière fait apparaître fluorescente la pelouse alpine, zébrée par les torrents aux reflets argent… c’est somptueux. Indescriptible.
La fatigue est oubliée. Quelle fatigue d’ailleurs ?
Je rêverai rester là et comprends désormais pourquoi le camping est interdit. Quand je vois comment certains coins dans les Alpes françaises sont squattés, un laisser faire ici serait dramatique pour le spectacle, ma faune, la flore… mais le bivouac est-il du camping ?…
Je continue mon aventure et… non… je n’y crois pas… une gorge insondable à franchir par un pont népalais !
Ambiance…
J’adore.
J’arrive de nouveau à un refuge sur un promontoire. A peu près certain de la réponse, je demande où je peux planter ma tente, quite à me poser sous les cordes à linge.
Impossible.
Shit.
Impossible autour du refuge, oui, mais le gardien (sympa) m’indique deux spots où je peux m’installer discrètement. La magie des adverbes, je vous dis.
J’y cours, ne voulant vraiment pas passer une nouvelle nuit en dur, en collectif. En plus, je retrouver mon jeune gars croisé sur la crête ce matin : à tous les coups, on nous aurait casé ensemble et là, impossible d’échapper à la conversation que je ne souhaitais pas.
La journée n’est donc mas finie et c’est sous l’œil interrogateur des hôtes du refuge que je repars comme je suis venu : avec la banane jusqu’aux oreilles.
En plus, quelle meilleure heure que cette fin de journée pour parcourir ce plateau, sous la lumière déclinante d’un soleil oranger ?
Fantastique.
Bon, c’est que je commence à être claqué par ces trente-six bornes et quelques.
Encore un effort, et j’atteins le rognon à 2341m où je passerai la nuit. Dîner rapide, le vent se lève, ça caille. Pour la toilette, et bien pas de toilette.
Montage de tente et humm, je me glisse dans mon duvet bien chaud pour récupérer de cette journée absolument fantastique.
Vraiment la montagne que j’adore. Tout y était.
Merci, merci.
J’émerge de mon bivouac sur les coups de cinq heures. La nuit a été bonne, même si ponctuée par des rafales de vent car ma tente est absolument magique, et une fois bien plantée résiste incroyablement bien au vent. Je me prépare rapidement, car le bivouac ici était interdit ; je souhaite tout de même rester le plus discret possible et rejoindre le chemin dès que possible. Je descends de mon promontoire à 2341m où j'ai passé la nuit mais les muscles sont encore raides et j'ai du mal à trouver mon équilibre dans les pentes abruptes si tôt le matin.
Je rejoins le chemin et commence à parcourir le plateau. L'ambiance est absolument féerique, et je suis encore une fois sous le charme de cet endroit totalement isolé et si sauvage. J'avance progressivement vers la cabane … que j'attendrai sur les coups de huit heures. Entre quelques blocs, je me prépare mon petit déjeuner, me recharge en énergie me repose un peu. J'entame ensuite la descente, qui me fera passer par une frontière invisible, du canton des Grisons vers celui du Tessin. La descente se fait rapidement, et il est assez impressionnant de se croire subitement et pratiquement en Italie une fois en bas. Je rejoins ensuite compo Biello par la traditionnelle route, goudronnée que je retrouve maintenant si souvent sur cet itinéraire. C'est pas le plus agréable, mais j'en ai pris mon parti. Lâcher prise devant l’inéluctable.
Arrivé à campo Biello, je vise un petit snack qui m'a l'air fort sympathique, afin de reprendre quelques forces à coup de coca et de glace. J'en profite pour recharger mon portable une demi-heure. Ensuite, je reprends la route qui m' emmènera à la cabane …. La montée vers cette cabane est absolument majestueuse, passant, notamment par des forêts de mélèzes, certes raides, mais réellement oniriques. Dans ce type de forêt, que je croise régulièrement sur cet itinéraire, je pense souvent à Rose-May qui aimerait tant être ici, en communion avec ces arbres. Arrivé à quelques encablures de la cabane, je me pose à côté du treuil qui sert à monter les charges, afin de prendre mon pique-nique face a un paysage absolument magnifique. J'en profite pour faire sécher ma tente, mes chaussettes et toutes mes affaires mouillées. Pique-nique rapidement pris, je rejoins la cabane afin de le compléter avec une petite douceur au chocolat et un cappuccino.
Je repars vers 14h15, en direction du dernier col de la journée aux alentours de 2400 m. La montée est également très paisible à travers les pâturages, où broutent quelques vaches. De plus en plus isolé en fonction de ma profession, j'arrive dans une zone parcourue \240de petits monticules, d’où émergent des rochers noirs en ardoise dont on fait les toits des maisons traditionnelles, si célèbre dans le Tessin. Le paysage est vraiment très particulier; couplé à l'isolement et à la brume des nuages qui volent en volutes de plus en plus denses autour de moi, l’adjectif d’onirique n’est pas galvaudé.
Les nuages deviennent de plus en plus présents, le plafond descend, et j'ai le sentiment parfois de marcher vraiment dans un brouillard complètement aveugle, et de plus en plus froid. J’aurai techniquement pu bivouaquer ici, même si le sol semble bien spongieux. Il n’est toutefois que 15h et si je veux rejoindre Airolo demain, il est plus raisonnable de continuer et de franchir ce dernier col.
Je continue donc ma progression tout en commençant à sentir quelque peu la fatigue. Et oui.
Arrivé au col, comme je m'y attendais, je suis en plein dans les nuages. Je ne vois pas grand-chose du paysage, tout en étant sensible à l' ambiance magique et hors du temps. Au cours de ma descente, j'espérais trouver un emplacement de bivouac, ainsi qu'un point d'eau, pour pouvoir me poser, mais je fait choux blanc. Ne sachant pas ce que la suite me réserve, je rejoins une ferme où un charmant Monsieur complétera mes réserves en eau. Quelques 300 ou 400 m plus loin, j'arrive à un emplacement près de la route où des camping-cars peuvent passer la nuit, équipé \240avec des sanitaires, snack etc. Je trouve proche de là, un petit emplacement dans un pré où je pensais - à tort - pouvoir passer une bonne nuit de bivouac, tout en profitant des installations.
Après avoir préparé mon petit emplacement idyllique sous de doux arbres, installé ma tente, le propriétaire du terrain - Vacher de son état - vient me voir pour m’expliquer que les vaches vont venir passer la nuit dans ce pré. Aucun problème pour lui que je reste mais son sourire narquois aurait du m’alerter.
Confiant dans ma bonne étoile, je pense que à part le dérangement du aux cloches, sans doute ça ne devrait pas être trop embêtant.
Dans mon fantasme, je tente de reproduire les barrières de branchage que les Masai font pour parquer leurs bêtes en imaginant que les vaches suisses égaleront en courtoisie les chèvres africaines.
Quelle naïveté….
En attendant le début des festivités, je prends un dîner rapide, puis \240me réfugie dans les sanitaires pour faire une vraie et complète toilette. J’apprécie d’autant plus que cela faisait longtemps que cela ne mettait pas arrivé…
Une fois les vaches lâchées dans le pré, elles ne semblent pas trop intéressées, du moins au début, par ma tente et son occupant. Elles viennent brouter ici et là, et je pense qu’elles vont monter progressivement dans le pré plus en amont pour y passer la nuit.
Grave erreur de jugement…
Lorsque les vaches commencent à s'éloigner un petit peu, je mets ma tenue de nuit, et rentre dans mon sac de couchage… Malheureusement j'étais vraiment très optimiste, et les vaches finissent par revenir, \240curieuses, autour de mon temple. Dont une qui commence par lécher le tissu de la tente !
Cette fois, s’en est trop ! Je surgis hors de ma tente en tenue de nuit, et course les vaches en agitant mon bâton de randonnée au dessus de ma tête, en criant comme un beau diable, le tout avec une frontale vissée sur la tête ! Je vous laisse imaginer le spectacle…
Cela marche bien… les vaches coupables s’éloignent de 50 m et reviennent de plus belle au bout de quelques minutes.
Je prends alors la seule décision intelligente, qui est, bien malgré moi, de déménager.
La nuit est en train de tomber. Je suis fatigué, mais c'est la seule décision qui s'impose. Alors ni une, ni deux, je prends toutes mes affaires en vrac, que je balance de l'autre côté du fil électrique, après avoir trouvé un emplacement me semble-t-il correct. Je m’agite, je suis fatigué, je démonte ma tente pour la remonter et réinstaller tout mon bordel dedans.
Ouf, ca y est. Me voilà dans mon duvet et…
Mais non. Ce n’est pas vrai ?!!
C’est alors que je m’aperçois que le terrain est terriblement en pente et le pire de tout, sur le côté… aussitôt couché, me voilà parti pour une séance de surf a l’intérieur de ma tente.
J'ai le sentiment alors qu'on cherche à tester ma motivation. Et bien je ne lâcherai rien ! Nouvelle fois, je ressors de la tente et décide de la déplacer quelque peu pour avoir un semblant de terrain correct. Je la re démonte donc, la glisse de quelques mètres, et la replante en espérant que cette fois-ci le terrain permettra de passer une nuit correcte. Une fois sur mon matelas, la pente est encore là, mais je vais la compenser en glissant sous mon matelas gonflable, tous les vêtements et le bordel que je peux avoir ainsi que mon matelas mousse. Ça compense quelque peu la déclivité, et je peux enfin me laisser aller en espérant passer une nuit quelque peu réconfortante. Quant au boucan, imaginez passer la nuit dans un clocher un jour de mariage. Pendant toute une nuit. Les cloches font vraiment un bruit du tonnerre, mais sachant que désormais, les vaches ne peuvent plus m’atteindre, je finis par dormir en pointillé. Petits, les pointillés.
Je me réveille après une nuit mouvementée, rythmée par le bruit des cloches des vaches. Je me prépare rapidement, prends mon petit déjeuner, petite lessive, et c'est parti pour de nouvelles aventures. Je commence par traverser les pâturages, puis je monte rapidement dans une forêt en direction de mon premier col.
Durant la montée, le magnifique paradoxe est que j’aurai trouvé des petits endroits de bivouac magnifiques où j'aurai bien passé la nuit. Toutefois, pas de regrets, car d’abord, cela ne sert à rien, ensuite, il est toujours facile de réécrire l’histoire, mais surtout, j'ai ainsi pu profiter des installations et sanitaires, manger dans des conditions confortables, faire ma petite toilette, et recharger mon téléphone grâce à des sympathiques camping-caristes.
Les nuages sont bien présents durant la montée. Arrivé au col, une petite bise fraîche souffle doucement m'obligeant à me couvrir pour une courte pause contemplative au bord de ce lac d’altitude. Je n'en profite pas moins, pour prendre le temps de contempler le paysage qui reste magique avec ses volutes de nuages, qui défient en permanence les sommets autour de moi, le col où je suis posé, contribuant à donner encore une fois, une ambiance très onirique à ce trek.
L’estomac et l’esprit rassasiés, c’est d’un pas ragaillardi et enthousiaste que j'entame ma descente, avec une météo où les nuages ont le bon goût de commencer à se déchirer pour le laisser apercevoir les sommets environnants. Le chemin est bon je me sens bien je vais vite.
J'arrive rapidement à un autre lac, beaucoup plus grand, absolument magnifique au pied de falaises qui plongent dedans. La cabane tant convoitée est atteinte et j’écoute ma petite voix intérieure qui me recommande d’y faire un arrêt. Toujours écouter sa petite voix, surtout pour \240reprendre des forces et de l'énergie. Je commande une assiette de charcuterie et de fromage que je dévore laquelle sera suivie par une tarte à la framboise, le tout arrosé d'un cappuccino. On est bien en Italie ! Heureux je suis.
En partant du refuge, je tombe nez à nez \240avec mon jeune randonneurs dont j'avais perdu la trace depuis quelques jours. Il cherche à rejoindre au plus vite un endroit, au-delà d’Airolo, qui est pourtant déjà très loin et le but de ma propre étape du jour. Il craint la météo et de possibles orages et veut prendre un hôtel dans une autre ville. Pourquoi ? Je n’en sais rien et c’est son problème en fait.
Fidèle à ma stratégie qui n’aime pas les gens, je le laisse dévaler les pentes sans moi. Je continue ma randonnée sur un bon rythme, toujours avec le sourire aux lèvres, admirant le paysage, profitant de chaque instant, et plein de gratitude pour l’aventure extraordinaire que je vis.
La descente depuis la cabane arrive rapidement un nouveau lac absolument époustouflant. Il est immense ; la vue est juste simplement fabuleuse. Pour la petite histoire, ce lac a une particularité géologique qui fait que plusieurs couches d'eau, différemment minéralisées ne se mélangent pas. Dans une couche intermédiaire, des bactéries particulières prolifèrent et donnent une couleur rouge. Le tout, de manière totalement naturelle évidemment. Je me lasse pas de ce paysage mais doit malheureusement continuer ma route pour arriver à Airolo dans des temps raisonnables.
Il fait chaud, et mine de rien, j'ai hâte d'arriver dans cette petite ville où j'espère pouvoir me trouver un petit hôtel pour la nuit. L'objectif est de récupérer après deux nuits successives en bivouac, qui n'étaient pas franchement reposantes, et la très grande étape qui m'attend le lendemain.
À l'entrée d’Airolo, je retrouve mon jeune randonneurs qui me prendre un téléphérique pour continuer sa route plus haut. Je ne comprends pas trop le raisonnement car il n’y a rien plus haut, et la météo pas très engageante…
De mon côté, je cible le premier hôtel en vue et demande une chambre, avec le plus beau de mes sourires. La mine déconfite, la gentille réceptionniste m’annonce que malheureusement il est complet, et que probablement tous les hôtels le sont à cause d'une manifestation de passionnés de motos anciennes. Je garde le sourire confiant dans ma bonne étoile, et me dirige vers un autre établissement que cette charmante dame m'avez toutefois conseillé.
Arrivé à l'hôtel des Alpes, le bien nommé, j'apprends qu'il reste une chambre de libre, mais que malheureusement elle n'a pas de douche, ni de toilette privative. Peu m'importe et magnifique nouvelle ! Cela va me permettre de me reposer et de profiter d’un \240abri pour la nuit à un prix vraiment pas cher. Je passe la première partie de l'après-midi à me reposer sur mon lit, écrasé de fatigue. Puis à faire quelques courses, une bonne douche pour me nettoyer…. Que cela fait du bien…
Repas du soir à l’hôtel le plus tôt possible et vite au dodo. Car demain, c’est du lourd au programme.
Le départ d’Airolo se fait sans difficulté sur les coups de 6h30. \240C’est une grosse journée qui s’annonce avec 2000m de D+, 26 km et 9h de marche (trafic suisse !) annoncés.
Trouver le départ du sentier n'a toutefois pas été facile, surtout à cause de l'autoroute. Le balisage est vraiment défaillant ici. En louvoyant un peu, j'arrive tout de même à trouver le départ du sentier, et monte à travers les pâturages, j'ai un peu envie de dire comme d'habitude.
Arrivé en haut des remontes-pentes, j'entame le parcours sur un sentier balcon, sur lequel je marche relativement vite pour gagner du temps, d'autant que la météo bouche complètement le paysage, et qu'il n'y a par conséquent pas grand-chose à voir. L'ambiance de la forêt est toutefois, encore une nouvelle fois, absolument fantastique, avec ses volutes de nuages, qui se déchirent, cette herbe bien grasse sur laquelle je marche, le tintement des cloches des vaches que l'on entend au loin, ces mélèzes et ces épicéa qui pointent dignement vers un ciel arrogant.
Après une courte pause dans une clairière féerique, je continue mon chemin, et arrive rapidement à une ferme d'alpage qui vend son fromage. Étant déjà bien chargé, je passe mon tour pour cette fois-ci.
Petite erreur d'itinéraire qui me vaut une pénalité immédiate de plusieurs dizaines de mètres de dénivelé supplémentaire. Ma foi ce n'est pas très grave, dans une étape qui on comptait déjà 2000, on n’est plus à cela prêt.
Je croise quelques randonneurs que je vais vite quitter en poursuivant le chemin 6. Le soleil réussi à percer à travers les nuages qui se déchirent ; voir un peu sa lumière et sentir sa chaleur fait du bien au corps et au moral.
Ambiance totalement magique dans une prairie que j’arpente. Les fleurs innombrables - mélangeant le jaune flamboyant, le bleu roi des campanules, les chardons argentés - les petits ruisseaux qui serpentent entre les rochers et faisant chanter leur son cristallin, les hautes herbes, le tout garder sous l’œil bienveillant des mélèzes, tout ceci donne un tableau qui n'aurait rien à envier à ceux de Van Gogh.
Je poursuis ma route d'un bon pas sur le sentier qui devient maintenant une piste de VTT. Ceci a pour avantage que la pente est régulière, dépourvu d'obstacles, et me permet d'aller d’un bon rythme pour poursuivre mon ascension. C'est que l'étape est encore longue avant d'atteindre la cabane tant convoitée à 2350m. Le paysage est absolument époustouflant, et je découvre enfin de mieux en mieux les montagnes qui m'entourent. Décidément, ce trek offre bien des surprises pour les yeux.
Au cours de mon approche de la cabane, je repère des emplacements de bivouac qui m’ont l’air simplement parfaits, au milieu de pelouse alpine très accueillante. C’est qu’il faudra vite monter l’abri car quelques averses sont prévues en fin de journée.
Arrivé à la cabane à 15h, je me fais un festin d’une assiette de gnocchis, servi avec un bon coca pour récupérer du sucre dans le sang et en dessert, une magnifique tarte aux noix. Miam. Cela fera office de grosse avance de mon repas du soir, plus léger du coup.
Une fois les agapes terminées, je rebrousse chemin pour retrouver mon emplacement de bivouac. Je peux monter la tente sans me presser : le temps se maintient, j’ai atteint mon objectif du jour, tout va bien.
Petite sieste vers 16h qui dure… un certain temps. Je sens le corps qui récupère de l’effort, c’est bon tout ça. La pluie s’invite comme prévue (vive la météo suisse, précise comme une horloge) ; les gouttes font résonner la toile de tente comme autant de notes cristallines. Charmante mélodie qui me berce alors que je suis bien au chaud dans mon duvet.
Il est 19h20. Et je termine d’écrire la page du jour. La pluie s’est arrêtée et une nuit calme se profile. Rapide toilette, rapide repas, et au dodo. Je sens que la nuit va être très bonne.
Tiens, l’hélicoptère des secours se pointe à la cabane juste au dessus de mon bivouac. Ça ne sent pas bon…
Il est 19.30. Je m’installe sur un rocher face au soleil couchant pour écrire mon journal. Le bivouac est monté depuis longtemps, j’ai soupé, le vent est tombé, le ciel est clair. Je suis bien.
La nuit a été très reposante, perché dans mon bivouac de rêve. J’ai pris le rythme désormais : un œil ouvert à 5h, lever un peu après (on est en vacances tout de même) et départ à 6h30. Je quitte donc les environs de la Capana Cornouaille Dries vers le Passo Del Gries. J’aime toujours autant ce moment où la montagne se réveille et monte en communion avec les premiers bruits, les premiers vents. Des lacs d’altitude ponctuent cette montée jusqu’au col. De là, la vue est absolument magnifique, les nuages jouant avec les sommets dans un silence de cathédrale.
La route continue vers l’Italie. Frontière franchie rapidement sans autre formalité. L’itinéraire inclue deux étapes dans ce beau pays, mon histoire sera un peu différente…
Du Passo del Gries, je descend maintenant un beau vallon vers le lac Lago du Morasco, lac artificiel à visée de production électrique. Une rude remontée m’emmène vers un nouveau lac, le Lago Vannino. J’en bave dans cette montée qui n’en finit pas. Le paysage est encourageant pourtant, mais bon. Il suffit d’aller à son rythme pour vaincre de tout.
Refuge Margaroli au bord du lac atteint avant midi. Accueil très chaleureux du patron. Je ne résiste pas à une petite limonade, une fameuse assiette de polenta et son plateau de fromages locaux. Une bonne douche viendra compléter ces plaisirs simples, mais qui redonnent de la valeur précisément à ces choses toutes simples.
Dans la douche, je décide de nettoyer mon linge. La technique est simple : on met tout le linge salle au fond du bac qu’on piétine délicatement avec le savon utilisé pour le corps. Tout va bien jusqu’à ce que la douche soit finie et que je cherche mon slip du jour… euh, je crois que je l’ai lavé aussi… j’en ai été quitte pour remettre mon sous-vêtement mouillé et partir vite du refuge avant que son humidité transpire à travers mon short…
Le chemin suit la rive du Lago Vannino, avant de monter franchement, direction Scatta Minoia, un autre col où se trouve un Bivouaco typique italien. Je ne sais pas encore quoi faire car la météo est très instable : beaucoup de vent, des nuages en veux tu en voila… je monte à mon rythme, nous verrons bien. Bivouaco atteint à 14.30, trop tôt pour s’arrêter malgré la tentation de l’expérience.
Je redescend donc sur les alpagesAlpe Forno Inferiore puis remonte vers le col Albrunpass qui va me ramener… en Suisse.
Sur la route, j’ai bien vu un très bel endroit de bivouac. Mais alors que j’étais près à m’installer, un troupeau de chèvres, curieuses comme des vaches, est arrivé pour voir ce que je fichais la. En repartant vers le col, me voilà suivi par mes nouvelles copines qui rêvent de lécher le sel sur mes jambes.
Retour en Suisse. Je cible le refuge Binntalhütte où je trouverai mon lieu de villégiature pour la nuit, abrité du vent.
Discussion sympathique avec un Suisse francophone.
Repas pantagruélique afin de vider mes réserves de nourriture pour cause de colis de ravitaillement que je récupère demain. Normalement.
Petit trou dans la tente vite réparé et la nuit me tend ses bras pour récupérer d’une nouvelle étape de plus de 25 km et d’un dénivelé indécent. Je m’endors bercé par les cris des chocards, les cavalcades des marmottons à deux mètres de ma tente, le bruit du torrent au loin.
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Je pars du bivouac à 7h après une grasse matinée bien méritée. Qu’il est difficile de quitter son duvet bien chaud à 6h mais si je veux profiter de la fraîcheur pour avancer, je n’ai pas vraiment le choix en vérité.
Je passe par le refuge qui était à 100m de mon bivouac et qui vois-je ? Mon jeune randonneur. Encore lui. En réalité, cela ne m’étonne guère car sur ce type de long trek, on fait souvent le yoyo avec ses collègues, se retrouvant d’étapes en étapes, parfois entre plusieurs jours.
Celui-ci m’explique avoir passé une journée de repos au refuge car la veille, il avait vraiment senti avoir tiré sur la machine.
Humm…. Pas idiot son approche et cela me renvoie à ma propre situation…
La descente vers Binn se fait sans soucis. J’ai le pas et le cœur légers, profite intensément du paysage et arrive tranquillement à Binn sur les coups de 10h. Plus long que prévu. Et la chaleur se fait déjà sentir…
Je récupère sans problème mon colis en poste restante : vive les services suisses.
Pendant que je réorganise ma nourriture à la terrasse d’un bar du coin, je réfléchis à l’approche de mon jeune randonneur.
Il est vrai que plusieurs de mes voyants, sans être au rouge, sont passablement orangés. Mon genou droit d’abord me fait des douleurs, sa manière à lui de réclamer une pause. La chaleur ensuite, qui pourrait me gâcher la prochaine étape qui s’annonce absolument magnifique sur plusieurs 4000m et que je pourrai gâcher en bourinant. Une certaine fatigue psychologique aussi, ne le nions pas, due à la solitude. Bref, tout cela mis bout à bout me pousse à me rendre à l’évidence qu’à la veille de marcher mon 300eme km, mon corps, aussi bien que mon esprit, ont peut être eux aussi besoin de se poser un peu.
Décision est prise donc de rester à Binn pour la journée et de la consacrer au repos, lessive, soin du genou, etc.
Bien m’en a pris, d’autant que de violents orages se sont exprimés en fin de journée, par dessus le marché. Il est pratiquement 22h et une discussion avec ma chère et tendre a également eu un effet très positif sur mon moral. Tel un loup, je peux avancer fort, vite et loin en solitaire si tant est que j’ai ma meute comme soutien. Rigolo et intéressant…
Aussi, après le canton des Grisons, celui du Tessin, un bref passage en Italie, me voici arrivé en Valais où la population de francophone augmente progressivement.
Impatient de repartir sur le sentier pour une belle étape de montagne demain.